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Chloé Cruchaudet effeuille « Mauvais genre »

7 octobre 2013 |

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Dans le très réussi Mauvais genre, elle met en scène la transformation d’un homme, et le naufrage d’un couple. Auteure de la belle trilogie Ida, Chloé Cruchaudet raconte comment un déserteur traumatisé par la Grande Guerre se travestit, d’abord par commodité, puis par goût. Un parcours étonnant, fascinant. Et une histoire d’amour qui se termine mal. L’auteure de Groënland-Manhattan la creuse pour BoDoï.

MAUVAIS GENRE_INTcs4.inddD’où est venue l’idée de vous intéresser à Paul Grappe et Louise Landy ?
J’avais entendu parler de La Garçonne et l’assassin, le livre de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, dans une émission radiophonique. Les deux historiens s’y exprimaient de façon passionnante. J’ai lu leur essai historique, non romancé, qui décrit les faits selon diverses sources. Il y avait tous les ingrédients pour se faire son propre film… Je me demandais comment un homme pouvait réussir à se faire passer pour une femme pendant dix ans ! Quand on regarde les quelques photos imprimées à la fin du livre, on s’interroge: Paul avait un visage peu féminin.

De quelle façon vous êtes-vous inspirée de cette réalité ?
Je ne prétends à aucune vérité historique. À part Louise et Paul, j’ai inventé tous les personnages secondaires, comme ce fétichiste dans le Bois de Boulogne, ou cet ancien camarade militaire. En imaginant les dialogues et scènes de Paul et Louise, j’ai pu leur donner des traits, les caractériser par une gestuelle, des habits. J’ai inventé plein de petits détails, comme ce porte-monnaie que Louise donne à Paul, pour l’aider à épouser un comportement plus féminin. Il était crédible pour moi que Louise soit le mentor de Paul, avant de se laisser dépasser par lui en termes de féminité. Leur situation est tellement complexe, entre leur jalousie mutuelle et le charisme extraordinaire de Paul, qui aimait aller danser et être regardé…

Quels éléments avez-vous laissés de côté ?
Certaines choses vraies, tellement étonnantes qu’elles paraissent incroyables : en plus d’être une bonne couturière, Paul fut champion de France de parachutisme féminin, en bernant les autorités… Il me paraissait trop difficile de rendre cela crédible.

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Qui est Paul ?
Il a eu plusieurs vies, plusieurs identités. À la fois attachant et insupportable – il est tout de même alcoolique et violent ! –, il est à fond dans ce qu’il fait. Il incarne une ultra-féminité finalement néfaste, et fascine par sa liberté tous ceux qu’il rencontre au Bois de Boulogne, hommes et femmes.

MAUVAIS GENRE_INTcs4.inddDe quelle manière avez-vous façonné le personnage de Louise ?
Louise paraissait plus passive dans l’essai de Fabrice Virgili et Danièle Voldman. J’ai essayé de la rendre davantage impliquée dans l’histoire. Elle modèle Paul en tant que femme, l’initie à la couture, nourrit le couple qu’ils forment… J’ai peiné à dessiner les moments glauques, l’alcoolisme de Paul, les scènes de violence conjugale : j’avais des pics d’adrénaline, des sueurs froides.

Représenter la Première guerre mondiale vous a-t-il été facile ?
Je faisais un complexe vis à vis de Tardi, dont j’adore notamment C’était la guerre des tranchées. Du coup, je n’ai rien relu de ses oeuvres avant de me lancer. J’ai choisi un parti pris moins réaliste que le sien. Paul baigne constamment dans la boue, semble vivre dans un cauchemar. Les hommes sont des espèces d’insectes toujours courbés, qui ne distinguent pas ce qui se trouve devant eux, comme dans un mauvais trip. Je craignais de tomber dans les clichés, je ne voulais surtout pas être complaisante et magnifier les combats. Alors tout de suite, j’ai montré le moins glamour : un soldat qui défèque. Beaucoup se pissaient dessus de trouille, hurlaient et appelaient leur mère, comme de petits enfants.

Une atmosphère bien différente de celle du Bois de Boulogne…
A l’époque, l’endroit symbolisait davantage la liberté sexuelle d’après-guerre qu’un lieu de prostitution. Les gens y faisaient des rencontres sensuelles. J’ai donc imaginé une ambiance ludique, où l’on échange les rôles, les identités. Où les classes sociales se mélangent librement.

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MAUVAIS GENRE_INTcs4.inddComment vous êtes-vous documentée pour préparer Mauvais genre ?
J’ai écouté la musique de ces années-là, où la violence envers les femmes était quasiment acceptée. Ainsi Fréhel chante : “ses gnons, son mépris, ses injures, j’l’avais toujours, c’était mon bien”. Les auteurs de La Garçonne et l’assassin m’ont confié leurs documents, et ont répondu à mes questions. Je suis allée au Musée de l’Armée, j’ai consulté des archives sur les soldats traumatisés par la Première guerre mondiale. Certains étaient atteints d’obusite, c’est-à-dire qu’ils avaient constamment les épaules voûtées, le corps secoué de spasmes, comme s’ils étaient toujours dans les tranchées, en train d’essayer d’éviter les balles.

Pourquoi ce jeu de couleurs entre rouge et noir ?
J’ai voulu utiliser un nombre réduit de teintes, pour diriger l’attention du lecteur sur des éléments précis – comme le porte-monnaie ou la robe de Paul, qui symbolisent sa féminité. Mon dessin charbonneux rend bien l’ambiance d’un Paris prolétaire, vers Belleville ou Ménilmontant. Celle d’un monde difficile, où l’on ne progresse pas. J’ai laissé mon trait vivre, sans corriger les pâtés d’encre. Cela collait bien avec la relation imparfaite de Paul et Louise.

Quels sont vos projets ?
J’en ai deux : une histoire de geeks qui font du cosplay ­– ma première incursion dans le monde contemporain ! –, et le récit incroyable d’une croisade d’enfants au XIIIe siècle. Ces gamins sont partis du nord de la France pour rallier Jérusalem et délivrer le tombeau du Christ. Ils étaient douze au départ, et des milliers à Marseille. Le petit garçon qui les menait voulait ouvrir la mer, mais ça n’a pas marché. Ils ont finalement été vendus comme esclaves en Algérie…

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Mauvais genre
Par Chloé Cruchaudet.Delcourt, 17,95€, le 18 septembre 2013.

Images © Delcourt.

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Commentaires

  1. Francois Pincemi

    merci Madame Le Saux pour cette interview qui donne envie de lire ce livre.

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