Chris Ware, Grand Prix d’Angoulême 2021
Chris Ware a été élu Grand Prix 2021 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Les auteurs votants l’ont placé devant Catherine Meurisse et Pénélope Bagieu.
Finaliste pour la 5e fois du Grand Prix d’Angoulême, l’Américain Chris Ware décroche enfin le prestigieux trophée, succédant au palmarès à Emmanuel Guibert. Né en 1967, et développant depuis les années 1990 une oeuvre pointilleuse voire maniaque, unique en son genre, l’auteur est déjà venu plusieurs fois à Angoulême. Qui l’a déjà récompensé du Prix du meilleur album pour Jimmy Corrigan et du Prix du jury pour Building Stories. Son dernier livre sorti en France, Rusty Brown, figurait dans la sélection 2021 du festival. On devrait le revoir sur les bords de la Charente l’an prochain, dans le cadre d’une exposition qui lui sera consacrée. Une bonne nouvelle, car les quelques présentations de planches qui ont déjà eu lieu en France (à Paris à la galerie Martel, à Lyon dans le cadre de l’expo Quintet…) ont toujours été impressionnantes.
Voici comment l’auteur a réagi à cette élection, en envoyant un message au festival (extraits):
« Aux États-Unis, la bande dessinée n’est même pas considérée comme un art, tout neuvième soit-il… je vous suis tellement reconnaissant, à vous les Français, d’avoir ce grain de folie, celui de me faire un tel honneur, sans parler de cette généreuse ouverture aux dessinateurs du monde entier grâce à laquelle ils me témoignent de leur amitié artistique. La liste des précédents lauréats me fait l’effet d’un panthéon, et bien que je considère la notion de compétition comme étant aux antipodes de l’art, je comprends cette propension qui nous caractérise, nous les humains, à vouloir témoigner de notre affection pour les choses qui rendent la vie plus… comment dire… vivante ! Je ne prétends pas que ce soit le cas pour mon propre travail, mais je peux au moins avouer être extrêmement flatté de figurer parmi mes camarades dessinateurs (qui, je l’espère, me le pardonneront), en particulier les talentueuses Pénélope Bagieu et Catherine Meurisse, nominées cette année.
(…)
Nous, les humains, sommes jusqu’à preuve du contraire la seule espèce sur Terre à continuer de voir les yeux fermés ; nous en faisons l’expérience chaque nuit et aussi d’une certaine manière lorsque nous sommes éveillés, repassant et remaniant sans cesse le film de nos vies, ce fil conducteur qui nous relie du berceau au tombeau. Dit autrement, nous autres auteurs et dessinateurs ne faisons rien de plus, assis devant un ordinateur ou debout face à un chevalet, que tout un chacun, à cela près que nous laissons derrière nous tout un fourbi que nos enfants n’auront plus qu’à jeter ensuite.
Ce mode d’expression en images, transitoires par nature, présente tout de même certains avantages artistiques ; en effet, là où celui qui ne comprend pas une peinture ou une sculpture blâmera ses propres lacunes en histoire de l’art, celui qui ne comprend pas une bande dessinée accusera son auteur de ne pas être à la hauteur. Nous les dessinateurs de bandes dessinées avons l’habitude d’être considérés comme des « idiots » ; tant mieux, car cela nous permet d’établir un lien plus franc, plus direct avec le lecteur et donc de lui proposer une véritable expérience émotionnelle. La plupart d’entre nous sommes au travail quand nos proches font « la fête », ou dorment tout simplement. Nous savons à quel point cela peut être difficile à vivre, et surtout l’effort que ça représente… des années de concentration et de détermination.
Pour toutes ces raisons, après une année éprouvante sur fond de pandémie pendant laquelle tout le monde s’est retrouvé confronté (ah, ah !) au quotidien d’un dessinateur de bandes dessinées (enfermé à la maison, condamné à glisser des mots sous les portes), j’ai la sensation réconfortante d’être enfin pris au sérieux, par vous tous, et aussi par votre pays où l’art et l’écriture sont considérés à leur juste valeur. J’en suis d’autant plus ému et touché que ma propre terre natale pourrait être qualifiée de pays en voie de développement, vu la façon dont elle a quasi abandonné la démocratie ces quatre dernières années. Liberté ! Fraternité ! Et surtout : Merci ! »
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