Christophe Blain sous les ors de la République
Pour lui, la promotion est une « période pourrie ». Christophe Blain a toutefois trouvé le temps, entre moult interviews, de répondre à nos questions autour de Quai d’Orsay, une nouvelle série co-réalisée avec un certain Abel Lanzac. On y voit un jeune conseiller peiner à trouver sa place auprès d’Alexandre Taillard de Worms, bouillonnant ministre des Affaires étrangères – sosie de Dominique de Villepin – à l’ego disproportionné. Détail d’une enthousiasmante plongée dans le monde de la politique.
Pourquoi vous glisser dans les coulisses du ministère des Affaires étrangères ?
Au départ, mon but n’était pas de réaliser une caricature politique ou un livre pamphlétaire. Tout est né d’une rencontre il y a quelques années : celle d’un homme devenu un ami – rencontré par hasard à l’occasion d’un voyage -, qui scénarise Quai d’Orsay sous le pseudonyme d’Abel Lanzac. Un soir, dans un café, il m’a raconté son expérience professionnelle en tant que conseiller au sein du ministère. Il faisait vivre extraordinairement ses histoires, en imitant chaque protagoniste.
Comment une bande dessinée a-t-elle découlé de cette rencontre ?
Abel connaissait mes albums, et aurait fini par me contacter à un moment ou à un autre, si nous ne nous étions pas trouvés avant. Rapidement, il m’a proposé de tirer un livre de son récit. Lui dire oui m’a paru évident… Un parallèle peut être fait entre Quai d’Orsay et Le Réducteur de vitesse – qui est d’ailleurs l’un des albums préférés d’Abel. Ce dernier livre est très proche de ce que j’ai vécu dans la marine, et montre un héros en processus de survie, qui observe son entourage. Abel Lanzac a été dans la même situation. Quai d’Orsay est une immersion dans une expérience humaine. La forme du huis-clos théâtral s’est imposée, permettant de se concentrer sur le jeu des personnages.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Nous sommes coauteurs de ce livre, que nous avons réalisé dans une grande complicité, avec une vision commune des choses : c’est bien simple, quand l’un commence une phrase, l’autre la termine ! Le démarrage a toutefois été lent : Abel était toujours en voyage. Nos phases de travail ont été très concentrées. On se retrouvait autour d’une table, lui avec des notes, moi avec un carnet de croquis. Il me mimait ses aventures, faisait parler tous les personnages, les imitait, faisait le couillon… A partir des dialogues et des têtes des héros, je développais tout cela comme dans un petit théâtre, en affinant régulièrement le story-board.
Avez-vous facilement trouvé le graphisme de vos personnages ?
Oui. Alexandre Taillard de Worms est très agréable à manier, il impose immédiatement un rythme de mise en scène quand il apparaît. Les éléments qui le caractérisent me sont venus spontanément. Comme Gus, il est dans le mouvement. Dès le deuxième croquis, je l’ai eu en main. Ses dimensions varient : elles peuvent être réalistes, ou faire de lui un géant. Ses mains puissantes suffisent à tout dire de lui. Ses larges épaules montrent les tensions du héros, son cou rentré appuie son attitude de boxeur. Quant à Arthur [l’alter ego d’Abel Lanzac], je lui ai fait la tête que je me dessine lorsque je me mets en scène. En plus jeune, et avec des cheveux noirs.
Que représente pour vous Alexandre Taillard de Worms ?
Il me fait peur. Face à lui, j’aurais été broyé. Son autorité est effrayante. Lui et ses collaborateurs travaillent dans une pression permanente : ils sont obligés d’agir immédiatement, de prendre position dans l’urgence.
Vous êtes-vous documenté sur le domaine de la politique ?
Non, surtout pas ! Si mes héros de papier sont vivants, c’est parce qu’ils appartiennent à mon imaginaire, et pas à une réalité recréée. Ma meilleure documentation était Abel Lanzac, qui écrivait les discours de Villepin et a vécu au ministère quinze heures par jour pendant des années. Que voulez-vous de plus ? C’est de l’info de première main ! Je me suis tout de même rendu sur les lieux pour observer les ambiances, les comportements et vêtements des gens.
Avez-vous rencontré les personnes dont s’inspirent vos protagonistes ?
Je n’ai vu que le directeur de cabinet, et j’ai constaté qu’il était très proche de ce que m’avait décrit Abel. Je n’ai pas souhaité voir les autres « personnages » en chair et en os, pour ne pas risquer de les figer. Je voulais aussi garder mon indépendance vis-à-vis de Dominique de Villepin, sans rentrer dans sa réalité.
Avez-vous fait « valider » Quai d’Orsay avant de le faire éditer ?
Pendant sa réalisation, personne au ministère n’était au courant de l’existence de l’album. Il a fallu ensuite se trouver quelques alliés, vérifier qu’il collait bien à la réalité. Alors Abel l’a envoyé aux gens concernés. Tout le monde s’y est retrouvé, heureusement.
Preniez-vous des risques judiciaires en la publiant ?
Non, car tous les noms ont été changés. Et on y trouve une part d’invention, qui fait fonctionner le romanesque – comme la saillie du ministre sur Tintin.
Pourquoi Abel Lanzac a-t-il souhaité prendre un pseudonyme ?
Je pense qu’il a besoin de protéger son inspiration s’il veut continuer à écrire sur ce sujet. C’est pour cela qu’il refuse de s’exposer médiatiquement.
Quels sont vos projets ?
Il y a bien sûr la suite de Quai d’Orsay, qui devrait sortir dans sept ou huit mois. On y racontera une histoire plus linéaire, autour de rapports tendus avec les Etats-Unis. Sinon, je travaille sur le scénario du nouveau tome d’Isaac le pirate, et le prochain Gus est quasiment écrit. J’ai aussi un projet de livre-disque érotique pop avec Barbara Carlotti. Et j’ai terminé un livre autour du chef Alain Passard, que j’ai observé pendant trois ans, à la fois en cuisine et dans son potager. Ce reportage dessiné paraîtra en mars 2011 chez Gallimard.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Quai d’Orsay #1.
Par Christophe Blain et Abel Lanzac.
Dargaud, 15,50 €, le 7 mai 2010.
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La fiche de l’album sur Nouvellesbd.
Images © Dargaud – Christophe Blain.
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Intéressant! je ne suis pas villepiniste, mais il est vrai que ce livre m’a donné une image plus charismatique de l’intéréssé
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Intéressant! je ne suis pas villepiniste, mais il est vrai que ce livre m’a donné une image plus charismatique de l’intéréssé
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Carrément génial ! J’adore ce que fait BLAIN !
Une question pour lui : pourquoi cette obsession sur les gros nez ? -
Carrément génial ! J’adore ce que fait BLAIN !
Une question pour lui : pourquoi cette obsession sur les gros nez ?
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