Christophe Gaultier dans un huis-clos étouffant
À presque 40 ans, Christophe Gaultier enchaîne les projets et ne cesse de surprendre. Après l’adaptation d’un classique de la littérature, Robinson Crusoé, et la magnifique reprise de Donjon Potron-Minet, dans le sillage de Christophe Blain, il se lance dans un one-shot inquiétant, Le Suédois. Inspirée d’un court roman de l’Américain Stephen Crane, Blue Hotel (L’Hôtel bleu), cette histoire à l’atmosphère oppressante flirte avec le western et le fantastique. Christophe Gaultier détaille pour BoDoï ses sources d’inspiration et sa méthode de travail, qui vise à éviter l’ennui à tout prix.
Comment avez-vous découvert le roman de Stephen Crane et pourquoi avoir eu envie de l’adapter ?
C’est par hasard que j’ai découvert Crane. Il y a une dizaine d’années, je parcourais les rayons d’une librairie à la recherche d’un bon roman à lire. Je suis tombé sur une couverture représentant la photographie d’un soldat nordiste de la guerre de Sécession et puis ce nom : Crane. C’était son roman le plus connu La Conquête du courage, un texte pacifiste et sensible sur la guerre civile américaine. Une sorte de À l’Ouest rien de nouveau bien avant l’heure. Je me souviens l’avoir dévoré. Ensuite, j’ai lu Blue Hotel, un petit roman de 80 pages. J’ai été soufflé par l’ambiance et l’atmosphère qui y sont décrites. C’est une histoire qui prend aux tripes, impossible de la lâcher de la première à la dernière ligne. Sept ou huit ans plus tard, après un déménagement, je suis retombé sur ce livre. Je l’ai relu et je me suis dit que cela ferait une bonne bande dessinée. J’y ai repensé un certain nombre de fois avant de me lancer dans la réalisation du Suédois.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour l’adapter ?
Je dois préciser que mon histoire est un huis clos qui se déroule en une soirée. Donc il n’y a pas d’ellipse. La mise en scène de ce type de récit est une des principales difficultés. L’atmosphère lourde est omniprésente dans le roman de Crane, et là aussi il fallait trouver le traitement adéquat. Je me suis d’ailleurs imposé de refaire mes premières planches qui ne me semblaient pas assez fortes. Je m’en suis rendu compte à la mise en couleurs: il y avait trop d’aérations dans mes cases, ça ne fonctionnait pas. Le roman de Crane comporte très peu de dialogues, j’ai donc du en créer de nouveaux. Comme pour mon travail sur Robinson Crusoé, je ne souhaitais pas faire de transposition littérale du roman.
C’est une histoire très mystérieuse…
Le roman n’est pas mystérieux, mais son sujet, les personnages, le lieu et aussi le dessin qui s’est imposé pour cette histoire se prêtent au mystère. C’est l’angle que j’ai choisi pour mon récit. Il y a certains passages que j’ai choisi de faire basculer dans l’étrange, comme par exemple la scène avec le portrait de Jenny.
Même si aucun élément surnaturel n’intervient, certains passages paraissent clairement fantastiques.
Là encore, le fantastique n’est pas présent dans l’histoire. Je pense que c’est mon dessin qui donne cette dimension, le coté expressionniste du traitement, notamment dans les couleurs. Par ailleurs, il y a certaines vues subjectives du personnage principal qui instillent de petites doses de fantastique dans l’histoire.
Celle-ci se déroule aux États-Unis, à la fin du XIXe siècle. Le Suédois est-il un western ?
Je ne le considère pas vraiment comme un western. Il y a des éléments représentatifs du genre mais pas les codes. Je ne sais pas bien comment le référencer… Ce n’est pas plus un western qu’un polar ou un thriller.
Quelles images a fait naître en vous le roman de Crane ?
Quand on lit Blue Hotel, on réalise peu à peu que les personnages, après avoir franchi le seuil de la porte, sont plongés dans un abîme de noirceur où tout peut arriver, où le rêve et la réalité se confondent. Le fait que le bâtiment soit isolé de la ville n’est pas anodin, je pense. Le personnage du Suédois est assez bien décrit dans le roman, j’ai eu une projection précise de sa représentation. Les autres personnages sont secondaires. Les deux acteurs principaux sont le décor et le Suédois, évidemment.
Avez-vous eu recours à une importante documentation ?
J’essaie de ne pas trop m’embarrasser de doc, mais j’ai toujours une fenêtre ouverte sur Google image, l’ami des dessinateurs. Merci Google ! C’est pratique lorsque vous devez dessiner un saloon ou une locomotive Pullman.
On ne comprend pas précisément les motivations de tous les personnages, et la fin est surprenante. N’avez-vous pas eu peur de trop déstabiliser le lecteur ? De le perdre en route ?
Je ne pense pas le perdre. Au contraire, j’essaie de capter au maximum son attention jusqu’au bout. Je crois qu’assez rapidement j’annonce la couleur en disant : « Attention mesdames et messieurs, il y a des couleurs un peu rudes, un dessin très noir, une histoire de barjots, alors on s’accroche, ça va commencer. Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment… haha. » Au fond l’histoire est très simple, et la narration également. Je voulais surtout décrire une atmosphère, installer un malaise.
Pourquoi avoir opté pour un style graphique si sombre ?
Je me suis dit : histoire très noire, dessin très noir. C’est basique mais ça peut fonctionner. Le crayon est un outil que j’affectionne : ici, j’ai travaillé à l’estompe, avec la gomme pour enlever mais aussi « graisser » le papier. J’ai presque gravé le papier tellement j’ai poussé le dessin. Je voulais qu’il y ait le moins d’espace vierge possible sur la planche, j’en ai vraiment foutu partout.
Vous vous concentrez sur les visages des personnages, en simplifiant le décor…
Il y avait un gros travail à fournir sur les expressions. Beaucoup de choses se passent dans les regards échangés entre les personnages, notamment dans les scènes muettes. J’ai beaucoup de plans serrés. Cette répétition entêtante était nécessaire pour donner cette ambiance oppressante.
Votre style pour Le Suédois est assez différent de celui de Donjon ou Robinson Crusoé… Était-ce une difficulté supplémentaire pour vous ?
Non, bien au contraire. Ça ne m’intéresse pas de dessiner toujours de la même façon. Je ne veux pas avoir l’impression de faire à chaque fois le même album. Le dessin, c’est un plaisir. On expérimente, on essaie des trucs, on change d’outil. Chaque outil n’ayant pas les mêmes possibilités, ça vous oblige à travailler différemment. Quand le dessin devient mécanique comme une recette, ça m’ennuie profondément. Et puis, même si je voulais garder une seule façon de dessiner, je n’y arriverais pas. C’est au-delà d’une démarche, c’est comme ça et c’est tant mieux.
Quelles ont été vos influences pour ce livre ?
Le roman noir et les films de Robert Siodmak, d’où se dégagent une atmosphère pesante, une tension. Ainsi que le dessin très noir et charbonneux du peintre belge Léon Spilliaert (Images ci-dessous).
Il paraît que vous ne faites pas de croquis avant d’attaquer vos planches…
Personnellement, je n’envisage pas d’autres façons de procéder. Avant, je travaillais de façon classique : je dessinais d’abord un story-board, puis je faisais une mise en place au croquis, enfin j’encrais. À l’arrivée, on se rend compte qu’on a dessiné l’album trois fois, pour un résultat pas forcément satisfaisant. Pour moi, encrer est d’un ennui cauchemardesque. Il y a des dessinateurs qui font leur crayonné et qui sont capables en encrant de conserver la pêche du premier jet, et même de le transcender. Moi je n’ai pas ce talent. Depuis Robinson Crusoé, je dessine sans faire de story-board ni de croquis de recherche, ni crayonnés. Tout se fait en direct sur la planche. Quand ça ne me plaît pas, je gomme ou je passe du blanco, c’est aussi simple que ça.
Comment avez-vous travaillé sur la couleur ?
C’est une colorisation numérique. Au tout début, je ne voulais utiliser que des tons sombres comme dans la séquence d’entrée. Mais je me suis vite rendu compte que ça ne marcherait pas, que cela alourdirait énormément mes pages déjà bien chargées. Sur ce projet, la couleur est un élément important. Elle suit les variations d’intensité, parfois elle fait écho à certaines situations ou bien contraste avec d’autres. J’ai essayé de nouvelles choses, j’ai expérimenté comme j’ai l’habitude de le faire avec le dessin.
Votre histoire dans le collectif Lucha Libre démarre ce mois-ci, dans le numéro 10. Qu’est-ce qui vous attire dans cette aventure ?
Intégrer une équipe est assez plaisant, surtout quand il s’agit de types musclés, férus de catch. Ça peut toujours servir dans la vie. Pour un déménagement notamment… Plus sérieusement, Lucha Libre est à part dans le paysage BD actuel. Dans l’originalité de sa forme et dans le ton. Je suis fier de faire partie de la bande.
Quels sont vos autres projets ? Un Donjon Potron-Minet en prévision ?
Je vais faire un livre avec Charles Berberian au scénario pour Futuropolis. Pour le Donjon, je ne sais pas quand sera programmé le prochain, et je crois que Lewis Trondheim et Joann Sfar ne le savent pas non plus. Je sais que cette réponse risque de provoquer pas mal de suicides parmi les donjonphiles, mais je n’ai pas de scoop à révéler. Joann est tres occupé par le tournage de son film [sur Gainsbourg]. Peut-être pour 2010 .
Propos recueillis par mail par Benjamin Roure
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Le Suédois.
Par Christophe Gaultier (son blog: .
Futuropolis, 18 €, le 5 mars 2009.
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Images Christophe Gaultier – Futuropolis
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J’ai lu le Suédois cette après-midi, c’est vraiment un superbe album. Bravo m’sieur Gautier, j’ai adoré l’ambiance de l’histoire, le travail de la couleur et du dessin est une belle réussite.
Juste un bémol pour le final, le récit progresse bien, la tension monte et ça s’arrête d’un coup.
Je trouve la fin trop brutal, on reste un peu sur sa faim. -
J’ai lu le Suédois cette après-midi, c’est vraiment un superbe album. Bravo m’sieur Gautier, j’ai adoré l’ambiance de l’histoire, le travail de la couleur et du dessin est une belle réussite.
Juste un bémol pour le final, le récit progresse bien, la tension monte et ça s’arrête d’un coup.
Je trouve la fin trop brutal, on reste un peu sur sa faim.
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