Christophe Gaultier : « J’aime m’approprier l’univers d’un autre »
Dessinateur de La Tragédie brune, Le Porteur d’histoires, Le Suédois, Le Fantôme de l’Opéra ou d’épisodes de Donjon, Christophe Gaultier a frappé fort à l’automne dernier en donnant corps à une sombre histoire du scénariste réunionnais Appollo : La Désolation. Sélectionné à Angoulême, ce one-shot met en scène Évariste, un prof qui fuit son ex et les ennuis en embarquant sur un bateau direction les Kerguelen. Au milieu des scientifiques ou des touristes de l’extrême, ce type paumé détonne quelque peu. Mais surtout, une fois à terre, il va se retrouver enlevé par une horde d’hommes sauvages… Un récit noir, âpre, vertigineux comme le dessinateur basé à Lyon les aime. Et auquel il insuffle la vie en grattant et gravant le papier à coups de stylo Bic.
Comment Appollo vous a-t-il proposé cette histoire?
Je connaissais son travail, il connaissait le mien, mais ne nous étions jamais rencontrés. Quand il m’a contacté à propos de l’affiche d’un festival de rock, nous avons évoqué l’idée de travailler ensemble. Je voulais dessiner un récit d’aventure, il préférait qu’on parle d’abord d’un thème ou d’un sujet. Et puis, il a ressorti une nouvelle écrite des années plus tôt et m’a soumis l’idée… en précisant qu’il voulait tout réécrire! Appollo a une façon très particulière de travailler, mais il envisageait ce travail comme une vraie collaboration. Il me donnait des petits morceaux de scénario, parfois 5 pages par 5 pages… ça a été assez long !
Avez-vous pu influer sur le contenu de l’histoire?
En voyant mes dessins, notamment des « Cro-Magnon », Appollo a parfois développé telle ou telle chose et a densifié son histoire. De toute façon, il fallait transformer ce qui était avant tout un récit intérieur, en créant des personnages, en écrivant des dialogues qui n’existaient pas à la base… Nous avons fait beaucoup d’allers-retours pour nous accorder sur le rythme, les rebondissements, la question de la voix off… Il fallait rendre tout cela le plus crédible possible.
Comment définiriez-vous le genre de récit qu’est La Désolation ? C’est de la SF ? Une aventure écolo de fin du monde?
Je la définirais comme un polar-thriller-arctique. Bien sûr, il y a un fond d’écologie, où est la place de l’homme moderne dans un monde qu’il n’arrive pas toujours à façonner ? Quelles sont ses priorités? Quel sacrifice faire pour garantir un équilibre? Il y a beaucoup d’interrogations à ce sujet.
Votre « héros » n’en est pas un, et n’est pas toujours très sympathique.
Oui, il plaque tout, et part dans l’idée de se retrouver seul face à la nature. Et il ne trouvera pas tout à fait ça ! On a l’impression que tout l’emmerde, il est désagréable. Et en même temps, par instants, il est rigolo. S’emparer d’un personnage qui n’est pas lisse est toujours excitant.
Qu’est-ce qui a été compliqué ou inattendu à dessiner dans cet album ?
C’est un récit qui joue sur la dualité entre enfermement et grands espaces, évasion et danger. Et il a fallu représenter les Kerguelen, l’absence d’arbre… Et le vent puissant et constant : ça, c’est impossible à rendre ! Mais le plus dur a été sans aucun doute le bateau qui relie La Réunion aux Kerguelen. Impossible de trop simplifier le Marion Dufresne, mais c’est vraiment le genre de choses que je n’aime pas dessiner trop longtemps.
Quelle technique avez-vous utilisée ?
À 95%, c’est du Bic. J’essaie de trouver un style de dessin par histoire, en cherchant des variations autour d’une technique que je connais. Au départ, j’étais motivé par reprendre la plume et le lavis, mais c’est une méthode bien trop longue ! Alors je suis revenu à ma vieille technique au stylo Bic. Je suis toujours attiré par la gravure, et mon travail sur les hachures s’en ressent, même s’il évolue aussi en fonction des BD. Il est différent sur Donjon par exemple. Le rendu sur La Désolation nous a poussés à une vraie réflexion avec notre éditrice sur la pertinence de sortir le livre en noir et blanc. C’était très tentant, mais commercialement risqué… Alors nous n’avons sorti qu’un tout petit tirage spécial en noir et blanc.
Cela fait longtemps que nous n’avez pas publié un livre en tant qu’auteur complet. Pourquoi?
Oui, c’est vrai que depuis Le Suédois… et encore, c’était une adaptation… Je crois que je me sens davantage dessinateur qu’auteur complet. J’aime essayer de m’approprier l’univers et le texte d’un autre.
Quels seront vos prochains livres?
Je poursuis un projet fleuve depuis deux ans sur la ville de Jérusalem, de sa création à nos jours, écrit par un historien spécialiste de cette ville. Et je vais dessiner une sorte de western imaginé par Fabien Grolleau, autour d’une colonie hollandais au début du XVIIe siècle.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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La Désolation.
Par Appollo et Christophe Gaultier.
Dargaud, 22,50 €, septembre 2021.
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