Chroniques du Léopard
Charles et Lucien sont au lycée Leconte-de-Lisle à Saint-Denis de La Réunion, où se retrouvent tous les enfants de familles bourgeoises, en cette année 1941. Le premier est l’un d’eux, fils de dominants de l’île depuis des années, le second vient de s’y installer, et accède au lycée en tant que pupille de la Nation. Ces deux amis, qui se prennent pour des poètes maudits, voient une étrange Guerre, si lointaine, investir leurs terres, mais lentement, insidieusement. Alors que certains de leurs amis préfèrent s’enorgueillir de littérature, nos héros ont bien du mal à admettre que le gouverneur de l’île soit un pétainiste, une situation qui fait tout le bonheur de leur surveillant général.
Fondateurs du GRR (Groupe révolutionnaire réunionnais), les adolescents découvrent d’autres réalités : emmenés par les frères Vergès, camarades de classe et rares non-blancs du lycée, ils découvrent des figures du parti communiste local, et la Résistance. Mais « on n’est pas sérieux à 17 ans », écrivait leur idole Rimbaud, et au romantisme révolutionnaire se noue, forcément, des amourettes plus terrestres. Les combats sont loin, la torpeur est là, soulignée par une palette quasi monochromatique, alternant selon les chapitres et où, parfois, d’autres couleurs fusent soudainement. En s’aventurant loin du lycée, Lucien nous emmène aussi dans les multiples quartiers de la ville, dessinant les impressionnantes fractures sociales et la richesse d’un territoire méconnu. Mais dans la nuit, les choses bougent, et la marche de l’Histoire s’accélère.
Connaissant bien leur terrain – Appollo et Tehem ont grandi dans l’île et ont été scolarisés dans ce lycée –, les deux auteurs livrent un habile récit d’enfance qui montre tout le jeu d’équilibriste de cet âge, entre désir et réalité, emballements et décisions froides. Appollo, scénariste du génial La Grippe coloniale, décrit avec la verve qu’on lui connaît, et une très belle langue nimbée de créole mais loin de tout pittoresque, ces secousses internes en période de grand bouleversement. Si l’incursion de personnages réels, de grandes figures politiques locales, les jeunes Vergès ou Raymond Barre, paraît parfois artificielle, elle est pourtant réaliste et crédible. Surtout, ces apparitions sont relativement anecdotiques, et ne font que servir le romanesque de l’ensemble, porté par un Tehem (La Grosse Tête) que l’on découvre très à l’aise dans ce registre historique où l’on ne l’attendait pas. Une fable historique, parfois amusante, parfois profonde, qui parle habilement du système colonial comme de l’impact d’une guerre à l’autre bout du monde.
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