Clear
Dans le futur de Clear, l’Amérique a succombé aux « voiles », cette technologie qui permet de voir ce qui nous entoure passé au tamis d’un filtre de notre choix. Une réalité augmentée permanente et individualisée que tout le monde a choisi de s’infliger 24 heures sur 24, plutôt que de subir un quotidien morose depuis que les États-Unis ont perdu la guerre face à la Chine et la Russie. Tout le monde ou presque, puisqu’il y a encore quelques individus, comme le privé Sam Dunes, qui ont choisi de rester « purs ». Sans voile, sans artifice, la triste réalité en face.
Et justement, la triste réalité c’est que son ex-femme est morte et l’illusion que l’on veut lui imposer c’est qu’elle se serait suicidée. Évidemment, les choses ne sont pas si simples et c’est une véritable conspiration que Deckard, pardon, Dunes, va mettre à jour. Bien sûr, l’ombre de Blade Runner plane sur chaque case de Clear, mais le résultat est plus convaincant que l’honnête série dérivée sous licence proposée récemment chez le même éditeur, Delcourt.
Au dessin, Francis Manapul donne vie avec application au futur diffracté entre tous les voiles imaginés par Scott Snyder : certains ont choisi de voir la vie comme un western, d’autres comme un anime japonais… Le world building est excellent et regorge de chouettes idées comme cette forêt de déchets compactés sous forme d’arbres pour rendre une décharge géante plus « agréable à l’œil ». Comme à son habitude, Snyder (Severed, Wytches…) soigne son récit avec une intrigue à la fois complexe, tout en faux semblants comme il se doit mais toujours limpide.
Le scénariste réussit aussi à incarner ses personnages à commencer par son héros, Sam, et son casque de moto peinturluré qui imprime tout de suite la page. On songe immédiatement à un autre privé masqué de comics de récente mémoire, celui du formidable Private Eye de Brian K. Vaughan et Marcos Martin. Les deux titres se font écho avec leurs interrogations bien senties sur la technologie et le rapport de servitude volontaire que nous entretenons avec elles. C’est contre notre propre passivité que Snyder nous met en garde : « Voilà où nous en sommes, un avenir qui loin d’un affreux cri primal, ressemble davantage à un milliard de petits soupirs. Un haussement d’épaules à la con. »
Mais au ton plus enjoué et aux couleurs vives de Private Eye, Clear répond par une ambiance résolument plus dark, celle qu’on associe traditionnellement aux récits cyberpunk. Il y a des accents de Strange Days, Soleil Vert et même de The Matrix. Neo, un peu, noir, beaucoup, neo-noir, à la folie. Un exercice de style pur. Mais un modèle du genre.
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