Clément Oubrerie et Marguerite Abouet poursuivent la saga Aya (2/2)
Deuxième partie de notre entretien avec le dessinateur Clément Oubrerie et la scénariste Marguerite Abouet, qui racontent depuis 2005 dans Aya de Yopougon – quatre albums au compteur – l’histoire d’une jeune Ivoirienne et de sa famille, ses amis, ses voisins… Une véritable saga pleine de rebondissements, qui plonge ses lecteurs dans le quotidien d’un village africain de la fin des années 70. Les auteurs évoquent leur méthode de travail et leurs projets.
Clément Oubrerie, comment vous préparez-vous à dessiner l’Afrique ?
J’accumule de la documentation. En août, je suis allé pour la seconde fois en Côte d’Ivoire, où j’ai passé trois semaines. J’ai pris beaucoup de photos et fait pas mal de dessins, dont certains seront publiés dans le futur art book d’Aya – qui comprendra des textes, récits et recherches. Gallimard a sorti en Afrique une version de la série en couverture souple, à 4 ou 5 € l’unité. Et ça marche très bien ! Les gens sont ravis et flattés que l’on s’intéresse à eux. Les Ivoiriens ont beaucoup d’humour, ils aiment se moquer des autres et d’eux-mêmes.
Comment travaillez-vous ensemble ?
M. A. : Clément est mon premier public, je lui lis tout ce que j’écris. Je fais un premier découpage sur un carnet, avec des patates, et nous réalisons ensuite un deuxième découpage ensemble. Nous le remettons à Thierry Laroche, éditeur chez Gallimard, et à Joann Sfar, directeur de collection. Puis Clément commence le « vrai » dessin.
C. O. : J’interviens peu sur le scénario, même si je peux parfois défendre certains personnages, comme celui d’Hervé, l’un des rares protagonistes masculins positifs. Marguerite et moi cherchons ensemble des façons de faire des transitions plus fluides, de moins sauter du coq-à-l’âne entre les pages. Comme la série est très foisonnante et compte de nombreux personnages et lieux, j’installe des codes couleurs pour faciliter la lecture. Je tente d’avoir une ambiance différente par page ou double page, ce qui permet une plus grande cohérence graphique. Au niveau technique, j’essaie plusieurs stylos. J’ai gardé pour le quatrième tome d’Aya le trait plus fin que j’avais adopté pour Zazie dans le métro. Mais il me faut respecter des codes jeunesse, à savoir des têtes assez grosses, des plans détaillés. Le dernier épisode tend toutefois vers plus de réalisme, avec des proportions plus justes.
Comment êtes-vous passés de vos carrières respectives – assistante juridique pour Marguerite Abouet et illustrateur de livres jeunesse pour Clément Oubrerie – à la bande dessinée ?
M. A. : Je suis arrivée à la BD par hasard. Mon truc, c’était plutôt de raconter les histoires oralement. Je peux capter l’attention des enfants pendant des heures ! Quand j’étais petite, je passais deux mois de vacances au village, sans électricité. On était une trentaine de cousins, et notre grand-père quasi aveugle nous réunissait autour d’un grand feu pour raconter des histoires. Ça marque l’imagination !
C. O. : Me mettre à la bande dessinée ne fut pas chose aisée. Pour illustrer les livres jeunesse, je peignais avec des perspectives cavalières, en travaillant particulièrement les formes et les couleurs. Mon trait était plus symbolique qu’aujourd’hui. Je suis donc revenu au dessin par le biais de la BD. Comme j’avais étudié pendant quatre ans à l’école Penninghen, j’avais de bonnes bases, mais il m’a fallu adopter des perspectives plus précises et trouver un équilibre entre le schématique, l’enfantin et le réalisme. Toutefois je trouve le réalisme pur totalement stérile. C’est ce que tout le monde apprend à l’école ! Le but d’un bon dessinateur devrait plutôt être de trouver une voie plus personnelle. J’ai le sentiment que la bande dessinée réaliste passe son temps à se citer elle-même et tourne en rond. Dire que les gens aiment cela et pensent que c’est une preuve de virtuosité que de coller au plus près des choses ! Alors que ce qui est standard et commercial est rarement intéressant…
Clément Oubrerie, où en sont les films de la société Autochenille Production, que vous avez créée en 2007 avec Joann Sfar et Antoine Delesvaux, et qui prépare notamment le long-métrage animé du Chat du rabbin ?
Nous voulons que le studio soit pérenne, avec une vraie politique éditoriale. Nous avons beaucoup de projets, dont la série Akissi [lire plus bas], Sardines de l’espace ou d’autres films tirés des albums de Joann, sur lesquels je ne peux en dire plus pour le moment. Le financement du long-métrage tiré d’Aya de Yopougon est en cours, la production devrait démarrer l’année prochaine. J’en suis le producteur, le directeur artistique et le co-réalisateur avec Marguerite. Le casting est commencé, nous avons des accords oraux avec Aïssa Maïga, Fatou N’Diaye, Eric Judor, Tella Kpomahou, Emile Abossolo M’Bo (Plus belle la vie) ou encore Jacky Ido (Inglorious Basterds, le prochain Tarantino). Nous allons tenter d’être fidèles aux deux premiers tomes, qui seront restructurés pour arriver à un film d’1h15-20. Ce sera de la 2D traditionnelle, faite à la main, avec les mêmes artistes que ceux du Chat du rabbin : des gens talentueux, comme Agnès Maupré, Grégory Elbaz ou Vincent Perriot, des virtuoses dotés d’une personnalité forte et d’une vision intéressante. Avec eux, nous sommes bien loin des Blondes, par exemple, qui bénéficiaient récemment, au festival de Saint-Malo, d’une grande affiche publicitaire. Cela m’a paru honteux et insultant, à la fois pour les auteurs, les blondes, et les auteures blondes !
Quels sont vos projets BD ?
M. A. : La suite d’Aya, tant que je me marre en la préparant. Quand je chercherai quoi écrire, j’arrêterai. Mais pour l’instant l’inspiration vient toute seule. Il y aussi d’autres histoires que j’ai envie de raconter, qui ne se déroulent pas forcément en Afrique. Je travaille en ce moment pour Gallimard sur Bienvenue, un scénario qui sera mis en images par un autre auteur que Clément. On y suivra une jeune fille de 22 ans, étudiante aux Beaux-Arts à Paris. Elle loge dans une chambre de bonne et côtoie ses voisins pauvres aussi bien que ceux qui habitent de beaux appartements. C’est une histoire de blancs qui se déroule en France, de nos jours. Figurez-vous que j’en ai marre qu’on me demande si je sais raconter autre chose que des récits africains ! Ce que j’aime, c’est créer des personnages, tout simplement. Je travaille aussi avec Clément sur la série Akissi, l’histoire d’une gamine ivoirienne destinée aux plus petits. Akissi, pour le coup, c’est vraiment moi. On va dire que je tire la même ficelle que celle d’Aya, et qu’ensuite je vais passer au grand-père du village, mais ce n’est pas vrai, puisqu’Akissi existait avant Aya. Sinon, je vais aussi écrire le scénario d’un film live, une comédie urbaine et romantique se déroulant dans un univers parisien. Grâce à Aya, les portes s’ouvrent !
C. O. : Pour ma part, je vais donc dessiner Akissi, dont le premier tome est déjà écrit. Le trait sera plus simple que celui d’Aya, et le ton plus humoristique. J’ai une autre BD en cours pour Gallimard, mais je ne suis pas sûr de la mener à bien. J’en ai déjà réalisé la moitié tout seul en quelques semaines. Je planche aussi sur une adaptation littéraire très différente de Zazie, dont je ne peux dire plus pour l’instant, car les ayants-droit ne sont pas encore d’accord…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Images © Gallimard 2008
Lire la première partie de l’entretien avec Marguerite Abouet et Clément Oubrerie.
_______________________________________
Aya de Yopougon #5
Par Clément Oubrerie et Marguerite Abouet.
Gallimard, 16,50 €, le 22 novembre 2008.
Achetez Aya de Yopougon T4 sur Amazon.fr
_______________________________________
Commentaires