Coeur de ténèbres
France 1794, la Révolution se poursuit. Dans le sang, dans la peur. Le lieutenant Varenne espère plus que tout quitter la Vendée, ce gigantesque cimetière marécageux, théâtre de la guerre implacable menée par la nouvelle République contre les fidèles de la royauté. Mais l’état-major va en décider autrement : Varenne va devoir traquer et ramener le colonel Sherb, surnommé l’Ange de la terreur pour ses « faits d’armes », qui se serait autoproclamé roi d’un bout de marais vendéen reculé, et qui assassinerait quiconque lui opposerait résistance. Commence alors pour Varenne et son fidèle ami, un Indien des colonies d’outre-Atlantique, une lente marche vers l’enfer et la noirceur d’une âme…
Jean-Pierre Pécau adapte ici le fameux texte de Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres, qui a déjà donné lieu à une adaptation BD récente, et surtout à une transposition cinématographique culte, Apocalypse Now. Son idée de situer l’action en plein coeur de la Révolution française – dans sa facette guerrière – est excellente, car le scénariste peut profiter d’un décor français à la fois funèbre et exotique : des marais vendéens comme un petit pays farouchement indépendant, au sein duquel un militaire en rupture décide de tourner le dos au diktat de l’armée et de la politique pour vivre en homme libre. À n’importe quel prix, dont celui du sang. Benjamin Bachelier use d’un trait crayonné et d’ombres charbonneuses pour composer cette aventure noire, dans une ambiance forcément morne. Et, belle idée, il déploie sans prévenir des couleurs brutes, du rouge surtout, quand Varenne approche du camp de Sherb et de son cerveau perturbé. Si la lente montée en tension, parallèle au cheminement du héros vers l’invisible ennemi, est palpable car parfaitement mise en scène, s’appuyant sur des dialogues concis et des images expressives, le dénouement frustre en proportion. En effet, il semble intervenir bien trop vite, et le face-à-face attendu entre les deux protagonistes est trop fugace. On aurait aimé en savoir plus sur les motivations de Sherb, son ambition, ses contradictions. Il n’en ressort que comme l’incarnation maléfique d’un monde devenu monstrueux, à force de tordre ses idéaux. La figure de Marlon Brando dans Apocalypse Now manque alors terriblement… Mais sans vouloir comparer, ce Coeur de ténèbres semble toutefois manquer sa cible sur la fin, dommage, car les deux premiers tiers étaient convaincants.`
Publiez un commentaire