Coney Island Baby ***
Par Nine Antico. L’Association, 22 €, mars 2010.
On avait découvert la jeune auteure Nine Antico avec son prometteur Goût du paradis. Elle fait plus que confirmer avec ce long récit graphique, dense et fascinant, évoquant le parcours de deux icônes sexuelles américaines : la pin-up Bettie Page et l’héroïne du légendaire film porno Gorge profonde, Linda Lovelace. Une promenade dans la culture cul yankee en même temps que le portrait semi-imaginaire de deux jeunes femmes tentant de se faire une place dans un monde d’hommes.
Nine Antico détourne le genre autobiographique en optant pour une visite guidée : deux jeunes femmes souhaitent poser pour Playboy, mais le patron du journal, le classieux obsédé Hugh Hefner, préfère leur dévoiler la réalité du métier avant qu’elles n’enlèvent le haut. Il va alors les emmener dans le passé, pour découvrir les destins singuliers de Bettie Page et Linda Lovelace. Dans les années 50, la première rêve de devenir actrice et prend un plaisir fou à poser en petite tenue, ou dans des mises en scène bondage. Avant que des censeurs ne mettent à bas ce petit business de photos olé-olé. La brune qui a fait fantasmer des générations de mâles américains finit par s’ennuyer dans son rôle d’épouse sage, et se tourne finalement vers Dieu. La seconde est une jeune femme naïve en quête d’émotions fortes dans des années 70 libérées. Grâce à son don pour la fellation, et poussée par celui qui devient rapidement son mari, elle est propulsée au rang de star du porno avec Gorge profonde. Elle mène alors une vie d’excès en tous genres, avant de se ranger du circuit et de renier sa folle jeunesse : elle milite contre les films porno et clame qu’elle a été manipulée et violée lors de sa courte carrière.
Au fil de cet épais ouvrage, Nine Antico tisse un canevas complexe et riche, qui interroge sur la place de la femme dans l’Occident du XXe siècle – et par écho celle qu’elle occupe aujourd’hui. Jamais manichéenne ni revendicative, elle explore aussi la notion de désir, d’exhibitionnisme et de plaisir des sens, sans condamner ni encenser. Son propos, comme son dessin – souvent juste esquissé, avec à la fois une grande économie d’effets et une vraie précision -, est ouvert, laissant au lecteur la place de s’interroger à son tour, de remettre en question ses préjugés. Coney Island Baby (titre emprunté à Lou Reed) est ainsi une bande dessinée d’une grande originalité, sensuelle et gonflée. Brillante.
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