Cosey et Jonathan méditent en Birmanie
L’éternel voyageur romantique est de retour après sept ans d’absence. Sous la plume de Cosey, Jonathan déambule en Birmanie. Entre la pagode dorée du Shwedagon et les maisons sur pilotis du lac Inlé, il médite sur l’amour ou la pensée bouddhique. Et se laisse entraîner par un moine facétieux dans la lutte contre l’oppressante dictature birmane. Entretien avec Cosey, auteur suisse qui réalise depuis 33 ans le cheminement géographique et spirituel de ce vagabond aux cheveux bouclés.
Les aventures de Jonathan ne paraissent pas chaque année, vous les reprenez au gré de vos envies. Pourquoi donc ce nouvel album ?
Il a été motivé par un deuxième voyage en Birmanie en 2007, après ma découverte du pays en 1989. J’ai été marqué par la beauté de cette région et sa culture très religieuse. La religion n’y est pas, comme chez nous, associée à l’idée d’oppression. Dans ce pays écrasé par la dictature, les moines représentent l’espoir : celui de la liberté de penser, ou du moins de la possibilité de se cultiver.
À quelle occasion êtes-vous retourné en Birmanie ?
Je m’y suis rendu dans le cadre de l’exposition itinérante Comics Country Switzerland [la bande dessinée suisse]. J’ai participé pour l’Alliance française à des ateliers avec mes collègues birmans du 9e art. Leur connaissance de la bande dessinée oscille entre le manga contemporain et les comics des années 50. Mais ils ignorent tout d’Hergé, Tardi ou Sfar. Coupés du monde par la dictature, ils ne profitent pas de la même stimulation culturelle que nous. Ils étaient fascinés par la qualité technique de nos albums européens. La Birmanie compte de nombreux lecteurs de bandes dessinées. Mais l’économie de la presse et du livre – comme celle du pays en général – est catastrophique. Du coup, les BD sont mal imprimées et agrafées en fascicules, lesquels ne sont pas vendus mais loués.
Vous montrez des extraits des créations locales dans Jonathan.
Oui, j’avais envie de les faire découvrir. Nos méthodes de travail ne sont pas très éloignées : ce qui les différencie vraiment, c’est la censure. Là-bas, lorsqu’un passage déplaît, toute la case est supprimée. Les auteurs ne sont pas prévenus, ils n’ont pas la possibilité de revoir leurs planches. Leurs histoires paraissent donc telles que je le montre, avec des blancs…
Le sujet de ce 14e Jonathan, c’est donc la Birmanie.
Non, la Birmanie ne constitue que le décor de l’histoire. Au cœur de la série, on trouve Jonathan et ses pensées. Dans ce tome, nous avons accès à son journal. Cela m’a permis de raconter une histoire un peu particulière : celle de l’amour de Jonathan pour trois femmes. L’une est visible – elle est même en couverture -, et les deux autres sont invisibles. Mais je laisse au lecteur le soin de découvrir de quoi il s’agit…
Jonathan évoque les théories du psychiatre Jung ou bien s’intéresse à la pensée bouddhique. Cette série serait-elle philosophique ?
Non, parce que le sujet est plutôt celui du cheminement de la pensée d’un homme. Comme beaucoup de gens, dont je fais partie, Jonathan mène une recherche pompeusement appelée « intellectuelle ». Pourquoi ne pourrait-on pas aborder ce thème en bandes dessinées ? La recherche spirituelle fait partie de notre vie et intéresse beaucoup de gens. Il suffit de voir la taille du rayon philosophie et spiritualité des librairies pour s’en rendre compte !
Jonathan rencontre U Kyi, un étonnant résistant bouddhiste qui s’intéresse à tout. Est-il inspiré d’une personne réelle?
Oui. J’ai rencontré un moine qui était un véritable dévoreur de bouquins. Il a même souhaité lire le manuel d’utilisation de mon appareil photo ! Je ne sais pas si c’était un opposant au régime comme dans mon album. Mais toute personne intelligente et non malfaisante ne peut que s’y opposer.
L’album fait partie de la sélection officielle d’Angoulême. Comment avez-vous réagi à cette nomination ?
Je ne m’y attendais pas, et j’en suis très content. C’est une bonne promotion pour l’album. Et je pense que Jonathan peut encore toucher de nouveaux lecteurs.
Le premier épisode a été publié en 1975 dans le magazine Tintin. Quel souvenir en gardez-vous ?
Ce fut un grand moment. J’avais proposé Jonathan à tous les éditeurs sauf au Lombard, l’éditeur belge de Tintin. Cela parce que j’étais l’élève de Derib [auteur majeur de la maison] et que j’avais l’impression de faire du sous-Derib. Et puis Henri Desclez est devenu rédacteur en chef du Journal de Tintin. Il avait été l’un des premiers à publier mon travail dans le quotidien belge Le Soir. C’est lui qui m’a demandé de lui présenter mon projet. À l’époque, venir à la rédaction m’impressionnait beaucoup. Au sommet de l’immeuble tournait la tête géante de Tintin et les bureaux ressemblaient à ceux d’une administration. D’où je venais, la bande dessinée n’avait pas cette importance. En Belgique, j’ai rencontré André-Paul Duchâteau, Hermann, Dany, Tibet mais aussi Franquin, Peyo et Jijé. J’étais déçu de voir que ce dernier n’avait pas les traits de Jerry Spring ! Mais je me suis aperçu en sa présence qu’il avait un tempérament tout aussi fringant. J’ai brièvement croisé Hergé, qui m’avait avoué peiner à suivre Jonathan en épisodes dans Tintin. À cause des flash-back…
Propos recueillis par Allison Reber
Images © Le Lombard
_______________________________________________________________
Jonathan #14 par Cosey, Le Lombard, 10,40€, le 28 novembre 2008.
La bande annonce :
Achetez Jonathan T14 (avec portfolio) sur Amazon.fr
_______________________________________________________________
Publiez un commentaire