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Cosey toujours au sommet

16 septembre 2013 |

cosey_introRares sont les auteurs qui conservent une telle qualité de production au fil des années. Avec Celle qui fut, le dessinateur suisse réalise son 16e album de Jonathan en plantant son décor dans l’extrême Nord de l’Inde. Et la poésie, la vie et l’émotion sont toujours au rendez-vous.

Avec ce 16e album, on retrouve une nouvelle fois Jonathan en Inde.

En fait, c’est la première fois qu’on le voit vraiment en Inde. Sinon, il a juste traversé le pays.

Il a quand même habité Srinagar un certain temps.

Ah oui, c’est vrai, vous avez raison. Mais le Cachemire, ce n’est pas l’Inde. C’est encore plus l’Inde que l’Inde. C’est un pays de mystère, de chimère. C’est vrai qu’il y a habité. Je l’envie d’ailleurs ! Mais il fallait faire ça il y a 30 ans. Je le ferai peut-être dans 10 ans, mais pour l’instant c’est encore un peu tendu là bas. On peut y aller, mais c’est moins drôle qu’avant. En tout cas, avec Celle qui fut, Jonathan aborde une autre région, l’Uttarakhand.

cosey_pageC’est tout à fait cohérent avec son périple des derniers albums (BirmanieJapon – Birmanie), mais vous n’étiez pas obligé de parler de son passage en Inde. Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter ce pays ?

Ça fait longtemps que j’y pensais. J’avais l’impression de tourner autour. Pour moi, c’est le cœur de l’Asie. Il y a deux ans, j’y ai fait un séjour de quatre mois. J’ai rapporté assez de documents pour me lancer. D’ailleurs, j’espère pousser encore plus sur le sujet de l’Inde. Cet album, c’est le premier résultat de ces quatre mois passés là bas.

C’est de vos expériences que vous tirez les histoires de Jonathan.

Je les transforme, les embellis, les arrange d’une manière qui me semble pertinente. Je peux aussi bien les enlaidir d’ailleurs. Je m’approprie ce que j’ai vu et j’ordonne ce qui me semble intéressant. C’est ma façon de travailler. Ici, comme d’habitude, je n’avais pas de thème au départ. J’ai essayé de raconter une histoire avec des éléments personnels, mon expérience de l’Inde.

Une nouvelle fois, vous parlez de retrouvailles.

Oui ça me plait bien. Ici, il y a une double retrouvaille. Avec April, que Jonathan a connu enfant. Et avec le souvenir de Saïcha, son premier amour, qui avait donné le premier album. Avec la présence de Saïcha, j’ai un peu l’impression d’avoir bouclé un cycle.

cosey_pensionnatIl y avait déjà eu des flashbacks dans les premiers tomes. Ici, vous creusez un peu plus la jeunesse de Jonathan. Pourquoi parler de cette période ?

J’avais envie de cette ambiance de pensionnat en altitude en Inde, où on va se réfugier loin de la chaleur pendant l’été. Une atmosphère que j’ai connue en Suisse… Il y a un côté mystère, rencontre avec d’autres personnes du même âge, dans un endroit clos. C’est juste une envie que j’ai reliée à d’autres scènes.

C’est un peu surprenant, on aurait pu penser que Jonathan avait passé sa jeunesse en Suisse et non en Inde.

Eh bien, j’ai appris ça pratiquement en même temps que vous, au moment d’écrire l’histoire ! Mais finalement, pourquoi pas ? Il a vécu sa petite enfance en Suisse. D’ailleurs, c’est là qu’il a rencontré Saïcha. Mais ce départ est crédible, parce que ça aurait pu m’arriver. Mon père était expert-comptable et il était envoyé en mission pour la Banque mondiale, notamment au Sri Lanka. Le reste de ma famille a envisagé de l’accompagner pour une année. Si ça s’était fait, j’aurais pu me retrouver dans la même situation que Jonathan.

On retrouve encore ce zigzag entre votre réalité et la fiction.

J’adore faire cette cuisine. Avec toujours une seule idée, celle de réaliser un album passionnant, super génial, pour moi en tant que lecteur. C’est le seul objectif et tous les moyens sont bons. Je ne me prive de rien. Je ne l’atteins jamais, mais c’est un horizon, une motivation.

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Vous ne craignez pas le dédoublement de personnalité en créant cette limite floue entre vous et votre héros ?

Je m’en sors. Mais il y a parfois une drôle de réciprocité. Par exemple, pendant ces quatre mois en Inde, je suis allé marcher dans des forêts de pins où l’air est parfumé. Et un peu plus haut, il y a des forêts de rhododendrons. Dans nos Alpes, ce sont des plantes de petite dimension. En Himalaya, ce sont d’autres espèces qui ont la taille d’un arbre. Mon troisième album de Jonathan s’intitule Pieds nus sous les rhododendrons. Alors j’ai enlevé mes chaussures de marche, et j’ai marché pendant environ un quart d’heure pieds nus sous les rhododendrons ! C’est drôle. Un clin d’œil qui m’a amusé. Dans ce cas-là, la réalité a rattrapé la fiction. Généralement, c’est plutôt le contraire.

Pourquoi mettre la déesse Kali à l’honneur dans cet album ?

J’avais ce personnage d’April, une fillette qui affirme qu’elle n’a pas peur de la mort. Elle ne bluffe pas. Il faut dire qu’elle a subi le traumatisme de la séparation avec ses parents. Cela m’a mené à Kali, la déesse de la destruction et de la mort. Et qui est adorée en Inde de manière assez répandue. Cela peut paraître un peu malsain, mais si on creuse la question, on découvre que c’est la destruction de notre prison, de notre poids de l’ego, tout ce qui est qualifié d’illusion dans la tradition indienne. Et donc, elle détruit l’erreur pour laisser place à la révélation. C’est une destruction positive: pour renaître, il faut mourir. Comme dans la nature.

Cette dimension philosophique, cette couche supplémentaire par rapport à l’intrigue principale, est une constante chez vous.

C’est une passion que j’essaye de le communiquer un peu à mes lecteurs. Mais je donne quand même mes sources, une bibliographie. Dans cet album, il y a une image dans laquelle on voit la couverture de deux études sur le mythe de Kali. Je me suis bien renseigné. Et j’aime bien dessiner les couvertures de bouquins.

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On sait aussi que vous aimez donner des listes de disques à écouter. Et cette fois, il y a également une liste de bd jeunesse.

Ce sont les lectures de Jonathan quand il a 15 ans.

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Votre panthéon ?

Évidemment. Y compris Nancy (Arthur et Zoé) qui a pourtant un dessin très figé, mais tellement efficace. J’étais content de placer la série, pour les jeunes lecteurs qui ne l’ont pas connue. Je lisais aussi le Marsupilami, Snoopy… Je n’ai pas mis Gil Jourdan que j’adore. J’ai pensé qu’il fallait s’adresser à un public international et déborder de l’espace francophone. J’ai choisi volontairement un certain nombre de personnages anglo-saxons. Même Spirou n’a pas vraiment dépassé les frontières francophones. Alors que les Schtroumpfs oui.

En ce qui concerne le titre, on retrouve une forme proche de Celui qui mène les fleuves à la mer qui est le nom d’une divinité. Est-ce que Celle qui fut a un sens également ?

Non, c’est un titre inventé. Il n’y a pas de systématisme. Tout est bon pour raconter une histoire.

Et d’ailleurs, comment choisissez-vous vos titres ?

En général, c’est vers la fin de l’écriture du scénario. Voire en dessinant les premières pages. J’établis une liste. Une quinzaine de titres. C’est compliqué. En général, ça résume un peu l’histoire. Pour cet album, j’ai eu de la peine à trouver. J’ai hésité avec un autre titre plus descriptif qui était « L’œil de Kali ». Mais ça faisait un peu Bob Morane !

cosey_trainAu détour d’une case, sur la liste des passagers d’un wagon, on a failli découvrir le nom de famille de Jonathan. Mais vous avez coupé l’image juste après le prénom.

Mais je ne connais pas son nom de famille ! Au tout début, pour le premier album, j’ai cherché. Je n’ai rien trouvé qui me plaisait. Alors je suis resté à ce prénom. Maintenant, c’est trop tard. Il existe dans l’imaginaire des lecteurs. Si je lui donnais un nom, ce serait comme une trahison. Je crois que ce serait une erreur. Et pour en revenir à Celle qui fut, c’est comme ça dans les trains couchettes en Inde. Il y a la liste des passagers affichée à l’extérieur des wagons. Ça fait partie des choses qu’on ne trouve pas sur Google. J’aime bien ce genre de petits détails.

Dès les premières pages, on retrouve ce découpage très soigné. C’est évidemment quelque chose d’important pour vous.

Oui, peut-être même plus important que le dessin. C’est ce qui fait qu’on suit une histoire. Je commence par un scénario dialogué, découpé par page, très peu descriptif, qui ressemble à un livret de théâtre dans la façon de donner les éléments. Je décide du nombre de cases, des prises de vue, de la case la plus importante autour de laquelle les autres vont s’articuler. Je fais beaucoup d’esquisses très rapides, bâclées, pour organiser la page. Parfois, ça me met face à une faiblesse du scénario. C’est typique, quand j’ai de la peine à dessiner, c’est qu’il y a un problème de scénario. Donc, je suis obligé de revenir en arrière et de modifier des choses.

cosey_couvDans l’album, il y a une phrase de Jonathan qui sonne un peu comme une sentence : « Et si l’heure du retour avait sonné ? »

Oui, c’est la fin d’un cycle. Il y a Saïcha dans le premier et dans le seizième album. Il est probable que Jonathan va repartir en Suisse, pendant quelques mois selon lui.

Et vous, vous avez envie de faire une pause ?

Oui. Mon prochain projet sera un one-shot dont je ne connais pas encore le sujet. Mais j’ai envie de reparler de l’Asie.

Il va falloir faire un nouveau voyage alors.

Pas forcément. J’ai des réserves de documents sur Taïwan, l’Inde et l’Indonésie. Il faut que je trouve de quoi travailler dans ce que j’ai. Il me faut cette matière, sinon j’ai l’impression de rester dans le cliché.

Propos recueillis par Thierry Lemaire

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Jonathan #16 – Celle qui fut.
Par Cosey.
Le Lombard, 12 €, le 6 septembre 2013.

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Images Cosey/Le Lombard – Photo Thierry Lemaire

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