Courtes distances
Sam est un grand garçon. Il est tout en longueur, maigre et dégingandé, et a 27 ans. Mais il se comporte souvent comme un enfant, timide et maladroit, comme peu adapté à la société des hommes. Alors qu’il se remet d’une sévère dépression, il accepte un job trouvé par sa mère : accompagner le débonnaire Keith dans ses tournées. Ce quinquagénaire aux cheveux d’argent, jamais avare d’une anecdote sur son travail ou ses clients, occupe un emploi curieux qui a vaguement à voir avec la vente de filtres industriels, mais qui consiste essentiellement à aller faire signer des papiers dans les entreprises du coin. Voilà donc le très mou Sam coincé toute la journée dans la voiture avec le faussement bourru Keith. Une situation incongrue qui va faire sortir ces deux hommes si différents de leur coquille.
Superbe exercice de style et fine comédie de moeurs que propose là Joff Winterhart, découvert en France avec L’Été des Bagnold, déjà chez Çà et là. En effet, l’auteur anglais brosse deux portraits fascinants, celui d’un grand gamin limite autiste, qui peine à trouver un sens à sa vie et une place dans le monde, et un vieux célibataire qui aspire à rompre avec une trop pesante solitude. Avec un trait crayonné rehaussé d’aquarelle bleutée ou brune, au réalisme pointu lorgnant juste ce qu’il faut sur la caricature, il croque à merveille les moues, les grimaces, les regards absents comme les sourcils courroucés, les postures empruntées ou les tics de personnages mal à l’aise. Ce qui fait qu’en quelques pages seulement, on y croit à ce duo improbable, et on l’aime comme deux vieux copains qu’on aimerait à la fois secouer et serrer dans ses bras. Car très vite aussi, on se laisse gagner par l’empathie de l’auteur pour ces deux âmes en peine, dont le mal-être en même temps que l’espoir d’une existence moins morne pointent sous des dialogues en apparence anodins mais qui disent beaucoup. Sur ces courtes distances entre deux entreprises, ou sur un parking ou à la boulangerie, Sam et Keith se jaugent, débattent, se défient, s’affirment, se confient. Ils échangent, ils s’enrichissent mutuellement. Et la magie de cet album est d’arriver à le montrer, tout en développant une fiction sociale qui n’est ni du théâtre ni un reportage chez les petits employés britanniques. C’est tout simplement un petit miracle. Et l’une des plus belles surprises de bande dessinée depuis bien longtemps.
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Critique lue et approuvée « à 150 % » comme disait le fameux « Geoffrey Crozier »!
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