Cruelle
Enfant, Florence Dupré La Tour développe un rapport particulier aux animaux. Son premier hamster, Noisette, chute de la branche où elle l’avait placé, bien en hauteur. Quand son lapin (Noisette encore) se fait à moitié dévorer par un chat, la petite fille ne ressent pas douleur ou répulsion devant ses restes, mais fascination. Cette ambivalence reste au fil des ans, et des malheureuses bestioles censées lui tenir compagnie. La famille pieuse et nombreuse — une soeur aînée, une jumelle, un petit frère, une petite soeur — se déplace autour du globe (le père de la narratrice est affecté en Argentine, en Champagne, en Guadeloupe). Déplaçant aussi les interrogations de Florence, son rapport viscéral à la nature, sa volonté de dominer…
Florence Dupré La Tour nous avait récemment enthousiasmés avec Cigish ou le maître du Je. Elle récidive avec Cruelle, dans un autre style. Graphiquement, elle opte pour un noir et blanc à la fois sobre et riche. Au fusain, elle dépeint finement les décors et atmosphères. Les personnages sont, eux, représentés de façon caricaturale, animalière, ou tout simplement étrange. L’auteure se figure elle-même d’une drôle de façon, sans traits distincts. Ce qui frappe d’étonnement et d’admiration, c’est la franchise, voire même la brutalité de son propos. Sans complaisance, elle met en scène sa propre cruauté, donc, mais aussi la violence de son enfance : celle du déracinement, quand elle quitte l’Argentine, puis le domaine sauvage dans lequel elle pouvait vagabonder près de Troyes ; celle de sa mère, quand elle ne comprend pas les sentiments de sa fille ; celle de l’adolescence, qui l’éloigne de sa soeur jumelle… Cette première partie, sur trois, de l’autobiographie de l’artiste est une franche réussite. Un regard acéré, parfois douloureux, mais jamais pénible, posé sur le passé.
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