Cyril Pedrosa creuse son histoire familiale dans « Portugal »
Auteur du brillant et émouvant Trois ombres, Cyril Pedrosa épate à nouveau avec Portugal. Il y met en scène trois générations : celle de Simon, un auteur de BD en pleine crise, qui renoue avec ses racines portugaises à la faveur d’un festival à Lisbonne ; celle de son père Jean ; et celle de son grand-père Abel. Avec une grande finesse, l’artiste raconte un questionnement universel, celui des origines, de l’appartenance à une famille ou un pays. Il revient sur ce travail impressionnant, qui l’a occupé près de cinq ans.
Qu’est-ce que Portugal ? Une fiction, une autobiographie ?
Il s’agit d’une fiction d’inspiration autobiographique. Il m’est plus ou moins arrivé ce que vit Simon, le personnage principal du livre. En allant, comme lui, au Portugal, j’ai été chamboulé. Je me suis soudainement senti complètement chez moi, alors que je m’y étais rendu que deux fois dans ma vie, pendant mon enfance. Auparavant, j’accordais peu d’importance à mes ascendances portugaises. Autant qu’à mon goût pour les éclairs au chocolat… Aller là-bas a réveillé malgré moi un lien avec ce pays dont on parlait peu dans ma famille : mes parents n’ont jamais utilisé la langue portugaise, ils avaient mis de côté ce pan de leur histoire. Mon père m’avait bien proposé des cours de portugais quand j’étais gamin, mais j’avais tout de suite refusé : je n’avais pas envie d’être catalogué « fils de Portugais » par les autres enfants.
Pourquoi rendre Simon si proche de vous, en en faisant un auteur de bandes dessinées ?
Je n’avais pas envie de m’encombrer de trop d’éléments de fiction, pour ne pas risquer de perdre mon propos de vue. Et puis cela me permettait d’aborder le thème de la création, du dessin. La crise que mon héros traverse était une nécessité narrative permettant une rupture.
Qu’avez-vous souhaité raconter dans cet album ?
J’ai voulu rendre palpable l’absence de relation au pays que je ressentais, mettre des mots sur ce vide. Et aussi offrir quelque chose à partager aux membres de ma famille à travers cette banale histoire de migrants.
Portugal est un livre épais (264 pages), aux ambiances variées. Comment l’avez-vous conçu ?
Au départ, je pensais faire trois épisodes. Mon point de vue était pragmatique : il semblait difficile de trouver un espace éditorial pour un si long récit… Seulement, ça ne fonctionnait pas. Je ne trouvais pas de fil narratif avec un début et une fin pour chaque tome. José-Louis Bocquet, éditeur chez Dupuis, a finalement accepté qu’il n’y ait qu’un seul album. Cela m’a grandement facilité les choses.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la réalisation ?
Je me laissais parfois emporter par la fiction, il fallait alors que je m’oblige à revenir vers la famille. Régulièrement, j’étais terrifié : j’avais peur que ce soit plat et artificiel, que ça manque de substance, que ça n’intéresse personne. J’avais la tentation d’ajouter toujours plus d’action, de tensions, de rebondissements… Il s’agit d’un album impossible à résumer, composé de capsules installées les unes dans les autres et les unes à côté des autres. Avec beaucoup de discours, de scènes d’ambiance, d’échanges permettant de capter une émotion, une sensation, un silence…
Comment avez-vous travaillé ?
J’ai d’abord essayé de tout écrire. Ce qui fut rapide pour la première partie, laborieux pour la deuxième – des trames fictionnelles m’encombraient –, et particulièrement dur pour la troisième. Elle concerne la génération du grand-père, qui n’est plus là. J’étais en plein dans le vide que je voulais évoquer… Et je me suis senti sec. La relation que j’avais avec mon propre grand-père ayant été très distendue, j’ai dû retourner au Portugal pour projeter le pays dans le personnage.
De quelle façon avez-vous abordé le graphisme ?
J’ai retrouvé le plaisir du dessin sans enjeu. J’ai réalisé beaucoup de croquis, en tentant d’être le plus naturel possible. Je voulais tenter de ne pas avoir de style, pour que le trait soit un élément de langage, entièrement au service de l’histoire, et aussi malléable que nécessaire. Le dessin de la première partie est tenu, montrant l’état d’esprit encore contraint de Simon. Il reste formel dans la deuxième, et explose dans la troisième. Je me suis rendu compte après coup que le graphisme suivait l’état d’esprit de Simon.
Comment votre famille a-t-elle accueilli Portugal ?
Elle a été touchée par l’attention que j’accordais à notre passé commun. Cela a créé une ouverture, une possibilité de discussions. Certaines personnes m’ont raconté des bouts d’histoire familiale que je ne connaissais pas. D’une certaine manière, cela a rempli le vide.
Quels sont vos projets ?
Je vais dessiner une aventure intimiste, proche de la fantasy, écrite par David Chauvel. On y suivra des garçons qui traversent un pays en guerre civile. J’enchaînerai ensuite par un projet en solo, mais je n’ai pas encore choisi le sujet. J’aimerais parler des utopies, de la difficulté à imaginer ce que sera demain. Et aussi de comment des bribes de vies isolées peuvent s’entrecroiser, de l’absurdité de l’existence humaine…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Portugal
Par Cyril Pedrosa.
Dupuis, 35€, le 16 septembre 2011.
Images © Pedrosa / Dupuis. Photo © Lebedinsky
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