Dans la valise de… Jérémie Moreau
Tout l’été, BoDoï interroge des auteurs de bande dessinée pour savoir ce qu’ils vous conseillent de lire, regarder, aller voir pendant l’été. Histoire de prendre un bon bol d’air frais et de culture, récente ou non. BD, roman, série, film, disque, exposition, spectacle, ils partagent avec vous leurs coups de coeur. Après les conseils de Jérôme Dubois, nouvelle étape avec Jérémie Moreau (La Saga de Grimr, Max Winson…).
Une bande dessinée
C’est avec Ayako que j’ai découvert Tezuka. Je ne sais pas si c’est la porte d’entrée idéale pour découvrir « le Dieu du manga », mais en tout cas ça l’a été pour moi. Une histoire complète en trois tomes (qui vient de reparaître dans une très jolie intégrale, donc dans toutes les bonnes librairies en ce moment !), je trouve que c’est le format idéal pour tâter le terrain. Complexe et dense (multiples personnages, nombreux rebondissements), mais abordable en termes de temps de lecture contrairement à d’autres oeuvres qui demandent d’y aller franchement comme Phénix (11 volumes) ou Bouddha (8 méga volumes ).
Ayako, c’est pas la super joie, l’histoire est dure avec une petite fille qui se trouve enfermée dans un cachot car sa filiation met en péril la réputation et l’avenir d’une grande famille de propriétaires terriens. Une bonne tragédie digne des grandes pièces du genre, qui permet de découvrir tous les archétypes de Tezuka (l’âme pure, l’ingénue nymphomane, l’arrogant, le manipulateur, le faux héros… la galerie est immense !) Le dessin, le découpage, la complexité de l’histoire m’ont mis une si grande claque que ma tête continue de tourner et pour longtemps !
Un roman
Colline de Jean Giono : « Toutes les erreurs de l’homme viennent de ce qu’il s’imagine marcher sur une chose inerte alors que ses pas s’impriment dans de la chair pleine. » À l’heure où l’on est bassiné de discours écologiques pâlichons et bien-pensants, qu’il est bon de se prendre en pleine face des phrases qui claquent, pleines de style et de rage pour porter le respect de la Nature vers autre chose qu’un symbole vert clair de recyclage sur un pack de lait. Quatre bastides, trois petites familles de paysans, un idiot boiteux au clair de lune, un vieux qui déraille, le soleil enfle et crame les champs, la source du village se tarit : est-ce que la colline ne serait pas en train de rebeller ?
Ce roman a changé ma manière d’écrire à tout jamais. Pour vous convaincre de vous jeter dessus je ne vois pas mieux que de vous mettre un petit extrait. Tout le livre est comme ça. On ne peut le lire qu’avec la rage et la beauté au ventre :
« D’un seul coup, la terre s’est enragée. Les buissons se sont défendus un moment en jurant, puis la flamme s’est dressée sur eux, et elle les a écrasés sous ses pieds bleus. Elle a dansé en criant de joie; mais, en dansant, la rusée, elle est allée à petits pas jusqu’aux genévriers, là-bas, qui ne se sont pas seulement défendus. En moins de rien ils ont été couchés, et ils criaient encore, qu’elle, en terrain plat et libre, bondissait à travers l’herbe.
Et ce n’est plus la danseuse. Elle est nue; ses muscles roux se tordent; sa grande haleine creuse un trou brûlant dans le ciel. Sous ses pieds on entend craquer les os de la garrigue. »
Un film
Si j’avais été un cinéaste j’aurais voulu être Kurosawa. Et si j’avais eu la chance d’être capable de faire un de ses films, ç’eut été probablement Barberousse. Film énorme de 3 heures et quelques, qui dresse le quotidien d’une espèce de petit hôpital de bourgade misérable qui recueille un peu tous les laissés pour compte. On suit un jeune médecin fraîchement diplômé qui aspire à une grande et glorieuse carrière et qui se trouve parachuté dans ce trou paumé qui sent la gale et les cafards ! Mais le jeune docteur est très vite impressionné par le patron de ce petit hôpital : Barberousse, interprété par Toshiro Mifune, l’acteur fétiche de Kurosawa. Un homme dont la sévérité n’a d’égale que son humanisme et sa bonté d’âme. Le film déploie toute son envergure au fil des portraits auxquels on assiste, on s’y sent comme dans ces romans qu’on voudrait ne jamais finir, et la fin… Mon dieu la fin… J’ai pleuré comme jamais…
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