Dans l’atelier de Maëster
Depuis 1989, Maëster, 49 ans, écorne gaiement les coiffes des religieuses en troussant Sœur Marie-Thérèse, série prenant pour héroïne une bonne sœur pas franchement candide et aux méthodes expéditives. Dans ce sixième épisode – composé d’histoires courtes -, cette femme qui ne craint « ni Dieu, ni le Diable, et encore moins une bonne bouteille de Bourgogne » se retrouve parachutée à l’abbaye Notre-Dame-de-Pic, où elle sème sa zone et éborgne quelques chasseurs homophobes. Une occasion toute trouvée d’aller confesser le rigolard Maëster, jamais avare d’un bon mot, et d’explorer son atelier sis en banlieue parisienne.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Sœur Marie-Thérèse
« Comment est-elle née ? Mais je ne sais pas, elle est plus âgée que moi ! Disons qu’un jour, j’ai vu une bonne sœur sur un quai de métro avec un air on ne peut plus avenant et sympathique… Du coup, je l’ai utilisée dans une histoire courte destinée à Fluide Glacial. Je la faisais gueuler contre tout le monde ! Puis elle est revenue sous mes crayons : elle m’offrait de nombreuses possibilités, jouant le rôle d’élément perturbateur dans un milieu respectable.
Marie-Thérèse est un personnage jouissif : par le dessin, elle me permet de foutre les baffes que je ne peux donner dans la vraie vie. C’est un lieu commun de dire cela, mais la BD sert de psychanalyse aux auteurs. Mon héroïne se heurte dans cette aventure à la bêtise de groupe, qui m’agace prodigieusement. Depuis sa création en 1989, elle a grossi et s’est un peu assagie. Il paraît qu’elle fume moins de pétards qu’avant ! Ça m’embête un peu, alors il va falloir que je la réveille…
Le dernier album date de 2001. J’ai été un peu long à remettre tout ça en route. Et le récent rachat d’Albin Michel BD par Glénat a été un peu compliqué : j’ai passé un an sans savoir qui allait m’éditer. Ces sept années d’attente s’expliquent partiellement par la trouille et le perfectionnisme. L’idée de ce sixième album était déjà là vers 2003, mais j’ai mis du temps à la développer. J’étais un peu paumé, j’avais perdu le confort de mes anciens repères chez Fluide. Vous savez comment c’est, on fait du bricolage, du jardinage, et le temps file… Puis le banquier appelle et il faut se remettre au travail ! La motivation est parfois difficile à trouver.
De toute façon, Sœur Marie-Thérèse ne se laisse pas abandonner longtemps. Elle est pleine d’énergie, frappe à la porte du placard où on l’a enfermée et finit par sortir. La première histoire de cet album a été publiée dans L’Écho des Savanes en avril 2005. Je tenais absolument à mettre en couleurs mes planches, mais ça me prenait tellement de temps que j’ai dû passer le relais à une coloriste, Sophie Dumas. Sinon, je serais encore dessus ! »
L’anticléricalisme
« Non, je n’ai pas de comptes à régler avec la religion. Je n’ai jamais été mordu par une bonne sœur ou tripoté par un curé. Je n’ai d’ailleurs pas reçu d’éducation religieuse. Toutefois, l’hypocrisie de l’Eglise me fait réagir, de façon parfois excessive. Ce qui m’amuse particulièrement, c’est l’écho que l’anticléricalisme humoristique trouve chez les gens. Mais au bout d’un moment, cela peut lasser, c’est sûr. Par exemple, j’aimerais bien que, dans les collectifs, on ne me colle pas systématiquement les sujets religieux. Je ne suis pas le dessinateur officiel du Vatican ! Même si je me suis documenté sur la question pour ne pas raconter n’importe quoi – pas trop tout de même, pour ne pas faire une BD d’initiés ! »
Le langage
« J’y accorde beaucoup d’importance. Je fais en sorte que Marie-Thérèse soit grossière, mais pas vulgaire. Je cherche des expressions originales, des images rigolotes, je m’inspire des dialogues de Michel Audiard. Je commence à être habitué à cet exercice, et les tournures me viennent plutôt facilement. »
Sa technique
« J’aime la mise en couleur à l’aquarelle, je trouve cela relaxant. Je ne rejette pas les nouvelles technologies, mais j’aime le contact avec le papier et les pinceaux. Et puis on peut mettre un crayon dans sa poche, contrairement à l’ordinateur, et dessiner n’importe où ! »
Son parcours
« Je suis parti d’Algérie à l’âge de 3 ans. Mon père avait alors deux professions : épicier et clown. Il a travaillé notamment au cirque Medrano et à la télé en Algérie. Forcément, il a transmis les gènes de la rigolade à ses enfants ! Nous nous sommes ensuite installés en région parisienne. Tout de suite, il a été évident que je voulais être dessinateur de BD. L’un de mes premiers souvenirs de lecture est Le Nid des marsupilamis de Franquin. Gamin, je m’entraînais à dessiner de fausses aventures de Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Spirou… Au lycée, j’étais dans une section artistique, puis j’ai vécu de petits boulots. Jusqu’à ce que mon entourage me pousse à utiliser mes aptitudes. À 22 ans, je suis allé frapper à la porte de différents journaux pour vendre des illustrations. Fluide Glacial m’a réclamé une BD, et hop, je me suis lancé ! Ils m’ont pris mes trois premières histoires tout de suite. Ce qui explique pourquoi, pendant les vingt années suivantes, j’ai toujours été en retard pour rendre mes planches. Forcément, je n’ai jamais eu de stock ! »
Fluide Glacial
« J’y ai débuté en 1982, et j’en suis parti plus de vingt ans après. Après tout, il était temps pour moi de quitter ma famille. Et puis la tournure que prenait la maison d’édition ne me convenait pas : certains auteurs talentueux, comme Bouzard, Relom ou Julien C/DM n’étaient pas mis en avant. J’avais l’impression que l’éditeur se contentait de vendre ce qui ce vendait déjà. J’ai râlé un moment, et j’ai fini par m’en aller. »
La caricature
« Je suis fasciné par la justesse d’un Mulatier, le sens parfait de la géométrisation d’un Ricor ou la facilité à dessiner n’importe qui d’un Morchoisne. Il y a aussi l’Allemand Sebastian Krüger, qui peint des choses magnifiques à l’acrylique. J’aime l’exagération des caricatures, la recherche du côté amusant d’un physique. Mais c’est un dosage subtil : je ne veux pas enlaidir les gens, plutôt capter une ressemblance avec quelqu’un d’autre sans pour autant me moquer. Sauf des politiciens… »
Ses projets
« J’ai envie de travailler sur le cinéma. En ce moment, je fais un duel sur Internet avec Achdé, autour du western. Je compte m’atteler au septième tome de Marie-Thérèse, et poursuivre mes dessins d’actualité sur le blog. Et puis je rêve de passer d’une technique à l’autre dans le même album : alterner la peinture, le feutre, le crayon… On peut tout se permettre en bande dessinée, et de nombreuses possibilités n’ont pas encore été explorées ! »
Photos de ce dossier © BoDoï – Images Drugstore – Maëster
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Sœur Marie-Thérèse #6 : La Guère Sainte par Maëster.
Drugstore, 12,50 €, le 29 octobre 2008.
Le Premier An pire par Maëster.
Drugstore, 12,50 €, le 3 décembre 2008.
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