Dans l’atelier d’Emile Bravo
Tout, tout, tout, vous saurez tout sur la rencontre entre Spirou et Fantasio. Dans Le Journal d’un ingénu, Emile Bravo distille avec humour et grâce des éléments de la jeunesse des deux héros. L’occasion de demander à ce grand bavard de nous exposer sa méthode de travail.
Article paru dans BoDoï 117.
Dans l’atelier d’Émile Bravo
Plutôt décontracté, en veste cuir marron et barbe de trois jours, Emile Bravo nous accueille dans son atelier parisien, à deux pas de la place de la Bastille. L’auteur des Épatantes aventures de Jules (Dargaud) partage son espace de travail avec sept autres artistes, dans une ambiance qui semble plutôt détendue. À 44 ans, l’homme publie son premier Spirou, un album indépendant de la série officielle, baptisé Le Journal d’un ingénu. Avec une belle ligne claire et un propos non moins clair – les bases d’une bonne BD selon lui -, il dévoile les origines du groom du Moustic Hôtel, et raconte sa rencontre avec Fantasio. Jubilatoire, sa version d’une amitié mythique se fait grave lorsqu’il évoque la deuxième guerre mondiale, en cours de déclenchement. Emile Bravo, spécialiste de la BD pour (grands) enfants élaborée sans une once de niaiserie, détaille sa façon de plancher sur les images et la narration.
Spirou et Fantasio
« Le Journal d’un ingénu est une introduction aux Aventures de Spirou et Fantasio. Spirou est un héros sympathique mais, enfant, je me posais plein de questions à son sujet : pourquoi porte-t-il un costume rouge ? Pourquoi n’a-t-il pas de copine ? Qui était Fantasio ? Pourquoi Spip a-t-il une conscience ? Je me suis dit que, plutôt que de dessiner une énième aventure dont tout le monde se fout, il valait mieux d’essayer d’y répondre.
Il y a trois ans, Dupuis est venu me chercher pour faire un one-shot, en me laissant carte blanche. J’ai alors laissé mûrir l’histoire dans ma tête, en cherchant à expliquer comment un type qui tient des portes dans un hôtel peut devenir un aventurier. Il s’agissait de raconter une affirmation de soi, un passage à l’âge adulte. Or, pour grandir, rien ne vaut un bon traumatisme ! Dans cet album, Spirou et Fantasio provoquent la deuxième guerre mondiale. Spirou rencontre une jeune femme qui lui lègue une conscience humaniste. Cette petite communiste lui explique qu’il est victime du capitalisme. Elle le révèle à lui-même, puis disparaît. Elle est tellement marquante qu’elle laisse peu de place à d’autres filles dans l’univers de Spirou !
Je me suis autorisé des clins d’œil constants à Tintin. Mais c’était logique ! L’histoire se déroule en 1938, une époque où tous les gosses connaissaient le jeune reporter. Et puis je pars du fait que Spirou lisait forcément Le Petit Vingtième : pour moi, il est pupille de l’État, catholique comme beaucoup de Belges, et a été chez les Jésuites, qui l’ont placé comme portier au Moustic Hôtel. C’est un jeune gamin avec une houppe, qu’il suffit de vêtir d’un pantalon de golf pour qu’il ressemble à Tintin ! On le voit s’habiller inconsciemment comme son héros, auquel il s’identifie. N’oublions pas que, comme Tintin, Spirou est un jeune héros accompagné d’un animal. Impossible donc de faire l’économie d’une référence au personnage d’Hergé. De toute façon, je suis bien conscient du fait que l’on n’invente rien quand on crée une œuvre, mais que l’on puise à droite et à gauche. Mieux vaut le savoir et en jouer pour enrichir le propos.
Mon but avec cet album était d’étonner et amuser le lecteur. J’ai été heureux de voir que les gens de Dupuis prenaient autant de plaisir à le lire. Du coup, l’éditeur voudrait que je fasse un autre one-shot en parallèle à la série officielle. J’aimerais m’intéresser à la période chronologique qui suit, à savoir la deuxième guerre mondiale. C’est une phase excessive, où les gens dévoilent leurs doutes et peurs. Ce serait l’occasion de montrer aux gamins qu’il n’y a pas de héros, mais des circonstances qui transforment les hommes en héros. D’ailleurs, Olivier Schwartz et Yann préparent actuellement un album sur cette même période, alors ce n’est pas le moment. »
Sa méthode de travail
« Lorsque je parle de scénario, j’évoque ce que d’aucuns appellent un « storyboard ». C’est à dire que je remplis les cases directement, sans écrire de synopsis. Je ne passe par cette étape que lorsque l’éditeur m’y oblige, ce qui est heureusement rare – j’ai alors l’impression de retourner au collège ! Face à mes planches, mon travail ressemble à celui d’un acteur sur scène : je joue le rôle de chacun de mes personnages, parfois dans ma tête, parfois pour de vrai. Je fais donc du théâtre dessiné, en me disant : » Voilà ce que je ferais si j’étais untel « . Ça ressemble à une sorte de transe, c’est épuisant ! Les dialogues et l’expressivité des personnages sont très importants. Ce sont ces éléments qui font vivre une BD.
Une fois cette étape primordiale passée, je mets tout au propre, ce qui est nettement moins amusant. J’ai l’impression de recopier ma dissertation à l’école ! J’améliore la lisibilité de l’ensemble, je recadre, j’encre au feutre pinceau. Delphine Chédru met ensuite les planches en couleur. »
Sa conception de la BD
« Je fais des bandes dessinées pour les gens qui n’en lisent pas. Pour moi, la BD n’est pas un dessin plus un texte. Ces deux éléments sont indissociables. Ils forment une écriture graphique qui devrait être accessible à tous, sans nécessiter une certaine maîtrise de codes spécifiques. Pour moi, une case est comme le paragraphe d’un roman. Il faut se souvenir qu’au départ, toutes les écritures sont constituées de dessins. Car le dessin permet de se faire comprendre n’importe où, par n’importe qui.
La qualité première d’un album est d’être lisible par quelqu’un qui ne connaît pas la bande dessinée. Il faut donc s’adresser au plus grand nombre. Selon moi, pas besoin de s’embêter à faire un dessin laborieux ou hyper complexe. Je ne vois pas à quoi sert de faire un dessin ultra réaliste quand, avec deux points, on peut faire passer autant d’émotions que via deux yeux larmoyants. Le minimalisme laisse imaginer beaucoup de choses de la psychologie des personnages. Il est plus important de faire fluide pour que la lecture soit bonne. Un dessin trop fouillé, ça peut être beau mais ça nuit à la lisibilité. C’est comme un texte en caractères gothiques ou un style ampoulé.
Personnellement, je ne me considère pas du tout comme un dessinateur. Un vrai dessinateur a ça dans le sang, il sort son carnet de croquis toutes les cinq minutes. Moi, je peux passer des mois sans toucher un crayon. Mais j’ai des facilités à décrire des situations avec mon dessin – très codifié d’ailleurs. L’écriture dessinée est mon premier mode d’expression. »
Son parcours
« Quand j’étais petit, mon père me lisait des albums d’Astérix, Tintin ou Lucky Luke pour m’endormir. J’ai très vite eu envie de raconter des histoires dessinées, mais je ne réalisais pas que c’était de la BD. Je ne pensais pas que cela pouvait devenir mon métier. Au départ, je voulais m’inscrire dans une école d’ingénieur. Mais j’ai fait ma crise d’ado à la fin du lycée, j’étais énervé contre le système. J’ai donc grillé mes chances de faire carrière dans ce domaine. À 17 ans, alors que je n’avais jamais rencontré d’auteur ni fréquenté de festival de ma vie, j’ai décidé de m’orienter vers la bande dessinée. J’ai préparé un album de 70 pages dans mon coin : l’histoire d’un enfant allemand, en avril 1945. Puis j’ai été maquettiste chez Marie-France pendant trois ans, et illustrateur. En 1990, j’ai publié ma première BD en dilettante (Ivoire chez Magic Strip) sur un scénario de Jean Regnaud, mon vieux copain de post-adolescence. Nous avions le même humour, alors nous avons continué à écrire ensemble (Aleksis Strogonov, Dargaud). Comme il ne savait pas dessiner, je m’y suis collé. »
Ses influences
« Il y a René Goscinny, Franquin, Morris, et Hergé bien sûr. Ces artistes savaient construire une histoire. Ils n’oubliaient jamais le lecteur, lui prenant la main, cherchant constamment à l’étonner. J’ai été fortement marqué par Maus d’Art Spiegelman : cet album est pour moi aussi fort que du Primo Levi. Hergé est un bon exemple pour un auteur d’aujourd’hui : il se remettait toujours en question pour éviter la sclérose. Aujourd’hui, on ne peut plus faire d’album de Tintin, ce qui est logique : l’œuvre meurt avec son créateur. J’en veux au monde de la BD de se taire pendant qu’Uderzo détruit l’œuvre de Goscinny. Albert Uderzo est un très bon calligraphe, mais ce n’est pas un conteur. »
La BD jeunesse
« Elle s’est révélée un formidable vecteur pour faire passer de petits messages éducatifs. Je trouve que nous vivons dans un monde d’ados attardés, gouvernés par des gens qui ne s’affirment qu’à travers le pouvoir. C’est totalement puéril ! Nous devons mûrir…. A travers mes albums, je cherche à écraser l’ego des êtres humains, responsable de nos malheurs. Mieux vaut s’y prendre tôt !
Le premier épisode d’Une épatante aventure de Jules (Dargaud) racontait la relativité, le deuxième abordait le thème du clonage, le troisième l’histoire de l’humanité, le quatrième la mort… Petit, j’adorais l’aspect ludique des sciences. Je trouve important d’expliquer que l’on gère très mal la planète, que l’on se prend pour le summum de l’évolution alors que nous ne sommes que les prémices d’un agglomérat de cellules. Avec Jules, j’aime aborder tout ce qui peut troubler. Je n’apporte aucune réponse, je me contente de poser des questions avec humour, sans faire la morale. J’utilise un personnage naïf, auquel le jeune lecteur peut facilement s’identifier. Il est candide, comme mon Spirou, mais idiot. Avec cette série, je cherche à faire une bande dessinée fédératrice, qui crée une complicité entre les générations, parle aux enfants mais aussi au gamin qui sommeille dans chaque adulte.
J’ai aussi fait un travail d’illustrateur, de calligraphe en quelque sorte, pour Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill [un album publié par Gallimard, qui met en scène un petit garçon ignorant la mort de sa mère, et qui a reçu cette année un prix Essentiel à Angoulême]. Cette histoire autobiographique de Jean Regnaud m’a beaucoup ému, je ne connaissais pas cet aspect de sa vie.
Je prépare actuellement un nouveau Boucle d’or et les sept ours nains (Seuil). C’est mon grand succès jeunesse, ça fait beaucoup marrer les enfants ! Et je vais réaliser un nouvel épisode de Jules, qui montrera que la quête du profit n’a pas de sens, que les objectifs – s’enrichir, être puissant – que l’on nous propose aujourd’hui mènent à notre perte. Et ce n’est pas du militantisme, mais un fait ! »
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Images de ce dossier © Émile Bravo – Dupuis – photos © Bodoï
Retrouvez la suite de cette visite d’atelier ici. Et l’interview d’Emile Bravo sur ses projets concernant Spirou en cliquant là.
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Une aventure de Spirou et Fantasio par… Émile Bravo : Le Journal d’un ingénu.
Dupuis, 13 €, le 23 avril 2008.
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Bonjour,
j’aimerais prendre contact avec Mr Emile BRAVO.
En effet, je suis etudiante et je prepare le CRPE.
Je souhaiterais présenter l’une de ses oeuvres pour l’option Litterature de jeunesse.
Merci
Mon adresse email est lor93bao@hotmail.com. -
Bonjour,
j’aimerais prendre contact avec Mr Emile BRAVO.
En effet, je suis etudiante et je prepare le CRPE.
Je souhaiterais présenter l’une de ses oeuvres pour l’option Litterature de jeunesse.
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Mon adresse email est lor93bao@hotmail.com.
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