Dans les yeux de Bastien Vivès
Il a pris son vélo et affronté la pluie, depuis son atelier du quartier Nation à Paris pour venir me rencontrer au siège de Casterman, sur les quais de Seine. Et il n’a même pas râlé parce que j’étais en retard. Bastien Vivès est plutôt cool. Derrière ses lunettes arrondies et du haut de ses 25 ans, le jeune auteur primé à Angoulême pour Le Goût du chlore revient d’un séjour d’un mois à Naples, où il a pu « simplement dessiner », sans penser à un projet précis. Il présente cette semaine Dans mes yeux, nouvelle variation autour du thème de la relation amoureuse, vue exclusivement à travers les yeux du garçon. Retour sur ce petit bijou de réalisme tendre, mais aussi sur le plaisir de dessiner les filles et de regarder des matches de foot. Sans tomber dans une caricature de vieux macho, précisons-le.
Avez-vous toujours dessiné ?
Mon père, peintre et illustrateur, nous a toujours poussés à dessiner, mon frère et moi. Petit, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais « faiseur de zoos » ou « dessinateur ». Comme les faiseurs de zoos n’existaient pas, je me suis orienté vers l’autre voie. J’ai étudié le graphisme, puis l’animation, avant de me rendre compte que ce je désirais vraiment, c’était raconter des histoires. Alors je me suis lancé dans la BD.
Elles, Le Goût du chlore, La Boucherie, et maintenant Dans mes yeux : vous mettez en scène des histoires d’ados et de jeunes adultes, dans lesquelles les filles jouent un rôle important…
Depuis mon enfance, je dessine tout le temps des filles ! Dès l’âge de huit ou neuf ans, je recopiais les nanas dans les magazines, et même les personnages féminins du Petit Spirou. Ensuite, à 20 ans, comme on ne pense qu’aux filles, il était logique de les mettre en scène ! Dans dix ans, je ferai des histoires avec des gosses, ce sera chiant…
Comment écrivez-vous vos récits?
Je ne me considère pas du tout comme un scénariste. Je n’aime pas me documenter, je ne prends pas de notes régulièrement… Je me lance quand j’ai vraiment envie de dessiner une chose personnelle. Il faut que je sente que c’est mon histoire que je raconte…
Pourquoi pas aller vers l’autobiographie alors ?
Ah, non, surtout pas. L’autobiographie est un truc bien particulier. Je n’ai pas envie que le lecteur se dise : «Alors tout ce qu’il raconte, c’est arrivé, c’est la réalité.» Je n’ai pas ce courage-là.
Quelle place tient Dans mes yeux dans votre jeune œuvre ?
Ce livre clôt une sorte de trilogie, après Le Goût du chlore et La Boucherie. C’est toujours un peu la même histoire, mais avec une temporalité différente et une autre manière de conter. Le Goût du chlore est une version romancée, dans laquelle on se demande ce qui s’est passé exactement. Dans La Boucherie, on cherche à comprendre la relation amoureuse et la rupture, on voit s’il y a des conclusions à tirer. C’est plus cynique. Dans mes yeux se concentre sur les faits, ceux qui concernent la fille. Qu’est-ce qu’elle disait ? Quelle était son expression à tel moment ? On zappe donc tout le reste, notamment le garçon. On ne regarde qu’elle.
Comment avez-vous constitué le matériau de base ?
Par un mélange de séquences, de moments tirés de mes propres expériences. Certaines choses m’ont marqué, alors je souhaite en parler. Par exemple, j’ai vécu une histoire avec une fille, qui s’est terminée. Elle vivait à l’étranger, alors nous passions pas mal de temps à tchater sur MSN ou Skype. Je souhaitais raconter quelque chose autour de cette relation, alors j’ai relu l’historique de nos conversations. Je me suis rendu compte que je n’avais pas vraiment compris ce que nous échangions… Il y avait plein de choses qui, avec le recul, prenaient une autre signification. C’était très bizarre de revoir un truc comme ça… Un peu comme avec les photos : elles sont figées hors du temps, ce qu’elles montrent n’existe plus dans la vie.
Vous êtes très précis dans la représentation des gestes et des attitudes. Vous servez-vous de modèles ?
Non. Pour les positions un peu compliquées, ou quand je dois dessiner quelqu’un qui pleure, je mime. Ressentir son corps et le visualiser dans l’espace aide à dessiner.
Pourquoi avoir choisi le crayon de couleur pour Dans mes yeux ?
Comme je raconte l’histoire en vision subjective, je n’avais pas trop de difficultés avec la mise en scène, les cadrages et l’échelle des personnages. Je n’arrive pas à gérer ces problèmes avec les crayons. Mais là, comme la fille est toujours à peu près à la même distance… Cette technique, déjà utilisée dans La Boucherie, m’a permis de jeter plus facilement les expressions sur le papier.
Êtes-vous un adepte des carnets de croquis ?
Non, pas vraiment. Sauf quand je voyage. Depuis que je fais de la BD, je n’ai plus le temps de dessiner ! Enfin, de dessiner comme ça, sans but précis…
Et pour votre blog ?
Le blog, c’est pour ces conneries de tous les jours dont on se dit «Hé ! On pourrait en faire une petite BD !». J’adore l’humour cynique et le pratique comme un passe-temps sur mon blog.
Vous avez reçu le Prix Essentiel Révélation au dernier Festival d’Angoulême. Vous étiez très ému sur scène…
Ce Festival d’Angoulême fut très éprouvant. Je suis resté là-bas près d’une semaine, j’ai participé aux 24 heures de la BD, revu des gens importants pour moi… C’était très chargé, sur tous les plans. Alors, une fois sur scène pour recevoir cette récompense, je me suis laissé submerger par l’émotion… Les prix me rendent un peu plus sûr de moi et me confortent dans mes choix, c’est bien. Parce que je suis quelqu’un d’un peu naïf. J’ai attaqué la BD sans vraiment réfléchir, j’ai fait confiance aux gens.
Quels sont vos projets ?
J’ai fini mon prochain album pour KSTR, qui devrait sortir à l’automne. Il s’intitule À nos solitudes collectives. J’ai délaissé les crayons pour l’ordinateur et suis assez content de mon travail sur le dessin. De plus, Romain Trystram a réalisé de superbes couleurs. Je prépare également une série pour le label Poisson Pilote de Dargaud, avec Merwan Chabane (on dessinera et scénarisera tous les deux) : Pour l’Empire suivra une armée romaine envoyée par César reconquérir un bastion dans des terres inconnues. En mai devrait paraître chez Ankama Juju Mimi Féfé Chacha , des strips humoristiques sur les relations hommes-femmes, réalisés avec Alexis de Raphelis (auteur du Bloc chez Sarbacane). Enfin, je vais participer à un ouvrage collectif pour les éditions Dargaud, avec Mathieu Sapin, Lewis Trondheim, Clément Oubrerie et Anne Simon. Je m’inspirerai du séjour d’un mois que je viens de passer à Naples, invité par le festival Comic Con.
Vous êtes l’un des rares auteurs à revendiquer son amour du football…
J’adore regarder le sport et particulièrement le foot. Ça me joue parfois des tours, notamment quand, dans un festival, je me retrouve seul dans ma chambre devant un match à la télé. Mais un match de foot, c’est une putain d’histoire! On y trouve des duels très puissants. Des joueurs qui affrontent leurs anciens coéquipiers, un gardien réputé très fort qui finit par craquer… C’est une véritable saga, j’adore ce truc-là!
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Dans mes yeux
Par Bastien Vivès.
Casterman/KSTR, 16 €, le 11 mars 2009.
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Images © Bastien Vivès – Casterman; Photo © Isabelle Franciosa
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J’étais resté sur le bord de la route à la lecture du Goût du Chlore… j’avoue avoir même ressentit cette frustration un peu idiote au moment de refermer le livre quant au rapport prix/temps de lecture. Le rapport n’est pas vraiment meilleur pour Dans Mes Yeux. A ceci près que ce livre est bouleversant. Sublimement dessiné, mis en scène, découpé colorié, sensible, touchant. Classique mais fortement evocateur, c’est cet amour des détail que Bastien cultive qui me rend totalement admiratif de son travail. L’idée est simple -nous renvoyer à nos hsitoires d’amour en nous attardant sur la personne face à nous-, l’execution est sublime.
Bravo, grandiose, un livre qui nous donne envie d’être meilleur, tout du moins artistiquement. -
J’étais resté sur le bord de la route à la lecture du Goût du Chlore… j’avoue avoir même ressentit cette frustration un peu idiote au moment de refermer le livre quant au rapport prix/temps de lecture. Le rapport n’est pas vraiment meilleur pour Dans Mes Yeux. A ceci près que ce livre est bouleversant. Sublimement dessiné, mis en scène, découpé colorié, sensible, touchant. Classique mais fortement evocateur, c’est cet amour des détail que Bastien cultive qui me rend totalement admiratif de son travail. L’idée est simple -nous renvoyer à nos hsitoires d’amour en nous attardant sur la personne face à nous-, l’execution est sublime.
Bravo, grandiose, un livre qui nous donne envie d’être meilleur, tout du moins artistiquement.
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