David Amram, amoureux de la forme courte
Actif dans le milieu du fanzinat, mais aussi rédacteur de textes théoriques ponctuels, David Amram a été un des trois auteurs inaugurant la collection Kim des éditions Cornélius, à côté de Charles Burns et Hugues Micol. S’il est assurément le moins connu des trois, son comics intitulé Anti Reflux – du même nom que deux fanzines autopubliés précédemment – est le seul à présenter des bandes dessinées. Cet ensemble de récits plus ou moins courts (d’une à une vingtaine de pages), mêlant inspirations référentielles et profonde contemporanéité, est une vraie réussite, qui mérite un focus individuel. En attendant le numéro 2, alors qu’une nouvelle vague de Kim paraît en janvier, rencontre avec ce nouvel auteur à suivre.
Avant que sorte ce comix, il y a cinq ans tu publiais un fanzine du même nom. Cela semble dénoter un fort attachement à ce format peu commun en France, qui vient autant du fanzinat américain que des origines des éditeurs alternatifs français.
Oui. J’ai adoré plein de comix américains, comme le Dirty Plotte de Julie Doucet, mais c’est vrai que j’ai découvert ce format à travers des auteurs français, grâce aux collections « Paul » des éditions Cornélius et « Mimolette » de L’Association. Celles-ci revendiquaient une filiation avec les comix, puisque c’étaient des fascicules où les auteurs pouvaient creuser leurs univers et expérimenter sur plusieurs numéros. Et il y a une raison très concrète pour laquelle j’ai aimé ce format, c’est son prix. Les « Paul » et « Mimolette » étaient des livres accessibles. Et en plus j’y découvrais des choses très libérées, faites avec un plaisir contagieux, et éloignées des standards de l’époque. Malheureusement, le comics alternatif s’est fait de plus en plus rare avec le temps, même si, plus ou moins récemment, il y a eu des titres stimulants comme Lose de Deforge ou Future de Musturi. Je suis donc très content que Cornélius remette à l’honneur ce format propice aux expérimentations avec la collection Kim.
Anti-reflux mêle un dessin toonesque a un ton globalement très triste, il y a une pesanteur particulière. J’imagine que tu ne conçois pas tes récits ainsi, alors comment naissent les planches d’Anti-Reflux ?
D’après les échos que j’en ai, le ton de mes récits est perçu différemment selon les lecteurs. En tout cas, mes histoires ont toutes une genèse très différente. Pour les histoires un peu plus longues que j’ai produites, leur récit m’accompagne de façon passive pendant une longue période, je n’y réfléchis pas trop, et je me retrouve à gribouiller les images les plus fortes qui apparaissent. Puis, au bout d’un moment, je finis par griffonner le récit d’une traite et très rapidement, de façon schématique. Je cherche à être fluide, et à rester au plus près de mon intuition d’origine, il faut que ça sonne juste.
C’est intéressant d’imaginer que des lecteurs y voient du pur joyeux, je vois une certaine « virevoltance » et un côté parfois très drôle dans certaines de tes planches, mais ce numéro est quand même empreint d’une forte nostalgie – pas tant dans le trait que dans le contenu des récits. De l’escargot à la mère, jusqu’à un étonnant journal illustré, on a l’impression que ces personnages sont figés dans un passé dont ils n’arrivent pas à sortir.
Eh bien maintenant que tu le dis, c’est vrai que l’inaction est peut-être une des choses dont parlent mes bandes dessinées.
Anti Reflux offre une synthèse d’influences intéressantes et franchement diversifiées, et réussit à les dépasser. Mais quelles sont-elles ces influences justement ?
Il y a plusieurs façons dont des auteurs peuvent influencer le travail, c’est donc un point compliqué à aborder ainsi. Par exemple, comme mon travail alimentaire consiste à écrire et à faire des recherches très rigoureuses sur la bande dessinée, je me retrouve souvent à lire des bibliographies entières d’auteurs oubliés, et cela finit par contaminer mon dessin. Par exemple, pour écrire le catalogue Calvo, un maître de la fable, j’ai parcouru énormément de revues pour jeunes filles des années 1930, et je me suis retrouvé malgré moi à dessiner des motifs très à la mode à l’époque, des petites fleurs, des champignons, des trucs bien poussiéreux que l’on retrouve chez Lorioux ou chez Jobbé-Duval. Ça parasite mon dessin, c’est de la déco d’un goût douteux, mais c’est comme ça. Concernant les auteurs que j’ai aimés, je réalise de plus en plus que Copi est probablement un des dessinateurs dont le ton et même les formes m’ont le plus marqué.
Tous les numéros d’Anti-Reflux développent du format court, de la page unique au récit qui en compte une vingtaine. C’est vraiment le format où tu te sens à l’aise ?
Plusieurs de mes histoires, comme Le Ferrailleur ou Pan Pan participent d’un même univers qui se construit peu à peu. J’ai des plans d’ensemble en tête mais j’essaie de ne pas leur donner trop d’importance. Recourir au comics, à sa forme fragmentaire, me force à rester au ras du récit, travaillant que sur une trentaine de pages à la fois.
Anti Reflux a aussi été un fanzine, est-ce un terme que tu comptes réutiliser encore, par exemple pour un autre album? Comptes-tu d’ailleurs republier des fanzines en parallèle ou était-ce une manière d’attendre le comix ?
Quand j’ai dessiné les planches du tout premier Anti Reflux, en 2018, j’en ai fait un fanzine, parce que je tâtonnais, mais aussi parce qu’il n’y avait plus de cadre éditorial stimulant qui aurait permis de proposer une série de récits courts. Je pensais déjà beaucoup aux anciens comix de Cornélius en fabriquant ces livres – sans pour autant souhaiter imiter platement leurs caractéristiques techniques. La renaissance de leur collection de comix a fait qu’Anti Reflux a pu s’y inscrire de façon assez naturelle ; la présence d’un éditeur m’a permis de me redonner un courage et une discipline que les années Covid, ainsi que des travaux de commandes pénibles, m’avaient fait perdre. Mais pour ce qui est des fanzines, c’est quelque chose qui est profondément ancré chez moi. J’en fais depuis que j’ai 12 ans, et même si j’ai systématiquement envie d’étrangler les reprographes, je ne peux pas m’arrêter d’en faire. Je viens d’ailleurs de terminer la mise en page d’un petit zine qui reprend certains dessins de mes carnets.
Propos recueillis (en juin) par Maël Rannou
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Anti Reflux.
Par David Amram.
Cornélius, coll. Kim, 32 p., 11 €, mai 2023.
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