David B. sillonne les chemins noirs de l’Histoire
L’Histoire le fascine, à tel point qu’il veut lui consacrer une fresque en plusieurs épisodes. Plus particulièrement captivé par l’Entre-deux-guerres, David B. signe avec Par les chemins noirs un récit sinueux et passionnant. Dans le deuxième épisode, on retrouve à Fiume l’éthéré Lauriano et sa compagne Mina, toujours aux prises avec les soubresauts de leur époque.
Rencontre à Bastia, dans le cadre des 16e rencontres de la bande dessinée et de l’illustration, avec un auteur disert et enflammé, alors que sort début mai chez Futuropolis une intégrale des deux premiers tomes de son ambitieuse série.
Qui sont vos héros, Lauriano et Mina ?
Ce sont deux personnages qui sont là l’un pour l’autre au bon moment. Ils agissent comme un moteur mutuel, se motivent pour quitter la ville. Lauriano est un intellectuel porté par l’action. Tant qu’il bouge, ça va. Mais quand il se retrouve à réfléchir, il est désincarné, c’est un bonhomme de papier, qui ne vit plus.
Quelle est la genèse de Par les chemins noirs ?
C’est un projet de longue date que j’avais pour Dupuis. Quand l’éditeur Claude Gendrot est parti chez Futuropolis, je l’ai suivi. Je voulais évoquer l’Entre-deux-guerres, par le biais d’une fiction assez traditionnelle. J’avais en tête un récit d’espionnage, sous l’influence de Pierre Mac Orlan. Au final, c’est devenu beaucoup plus complexe, élargi sur toute une époque, mêlant le romanesque, le policier, le sentimental… Cela tient plus de la fresque, avec une petite histoire à l’intérieur.
Pourquoi cet intérêt pour l’Entre-deux-guerres ?
À cette période, fascinante à bien des titres, le meilleur est possible mais le pire est certain. À la fin de la Première Guerre mondiale, les Alliés se sont laissé aller à des explosions de joie trompeuse. La France a connu un regain de créativité artistique avec l’arrivée des surréalistes et des dadaïstes, par exemple. On s’amusait bien dans les années 20 et 30. Mais des dictatures – en Allemagne, en Russie – et des conflits civils larvés se sont installés, comme en Italie entre les fascistes et les partisans de gauche. Un véritable basculement s’est produit entre ces deux décennies.
Votre projet d’explorer un pays par livre est pharaonique…
Oui, c’est assez lourd, mais j’aime ça ! Je me suis lancé bille en tête dans cette série. C’est ainsi que je fonctionne : dès que j’ai une séquence entière en tête – et pas forcément celle de fin -, j’y vais. Ça m’inquiète de moins en moins de ne pas connaître la chute de mon histoire. La conclusion s’impose assez naturellement. J’aime réfléchir sur le monde, apprendre de mes lectures, passer des heures sur un détail historique. J’apprécie particulièrement de donner chair à l’Histoire. C’est un défi plus graphique que littéraire ou narratif. Pour mettre en scène des événements précis de façon ludique, il faut trouver des solutions via le dessin, ne pas représenter les choses platement, éviter les lieux communs. C’est pourquoi je privilégie les anecdotes éclairantes.
Quelle proximité gardez-vous avec la réalité ?
J’aimerais prendre moins de distances avec elle dans la suite de Par les chemins noirs. Ces derniers temps, je me suis rendu compte que mes protagonistes fictionnels comportaient des failles, et que je n’avais finalement pas besoin d’en inventer. Des héros créés de toutes pièces font pâle figure auprès de personnages réels comme le poète Gabriele d’Annunzio ! L’Histoire est suffisamment riche d’êtres extravagants. Ensuite, je la mets en scène avec mon propre mode de narration, mes dialogues. Et j’utilise toujours des personnages de fiction pour les seconds rôles.
Pourquoi cette passion pour l’Histoire ?
Elle vient de la maladie de mon frère [l’épilepsie, abordée dans L’Ascension du Haut-Mal]. Enfant, je l’assimilait à une guerre. Et je la dessinais avec des batailles, des soldats. Du coup, j’ai eu envie de connaître les causes et effets des combats. Aujourd’hui, j’aime jouer le rôle de passeur. La plupart des gens ne connaissent pas les événements que j’aborde dans Par les chemins noirs. Cela peut en rebuter certains, mais j’espère que cela en touchera d’autres au fil des albums. Avec le temps, les lecteurs verront où je veux aller, ils auront plus de clés.
Vous avez aussi le goût du détail, du point précis et minutieux qui éclaire les choses sous un autre angle.
Cela sert à nourrir une histoire. En me documentant sur le pré-fascisme en Italie, par exemple, j’ai découvert des choses étonnantes. Pendant une grande grève paysanne, les cultivateurs n’allaient plus traire leurs animaux. Livrées à elles-mêmes dans les champs, les vaches meuglaient désespérément. Ça, c’est une case de bande dessinée. Dans un autre ouvrage, consacré aux femmes fascistes, j’ai découvert cette anecdote : une militante passait son temps à entraîner dans son lit les partisans de gauche. Dès qu’ils étaient prêts à passer à l’acte, elle leur riait au nez et se rhabillait, pour casser la virilité de l’adversaire. Ce qui m’intéresse, ce sont les réactions humaines à un moment donné. Comment les gens rêvent et construisent leur vie, quels sont leurs croyances, leurs espoirs.
Où en est la suite de Par les chemins noirs ?
Je prépare le troisième album, qui aura lieu en 1922. Je n’ai pas encore précisément déterminé le pays où il se déroulera ni qui seront ses personnages. Mais j’ai quelques idées. Je risque de me lancer dans une aventure d’espionnage, qui aura lieu en France ou en Allemagne. Pour l’instant, je penche un peu plus pour la France… Je suis dans une phase de documentation.
Savez-vous quel type de héros vous souhaitez mettre en scène ?
J’ai envie de personnages réels. À travers mes lectures, j’ai récemment découvert l’existence de Sidney Reilly, responsable des services secrets anglais au début du XXe siècle. Il était obsédé par les communistes, avait adopté la paranoïa comme façon de vivre, et passait son temps à inventer des complots bolchéviques qu’il devait déjouer. Cet homme à femmes était complètement mythomane et parlait plusieurs langues. Il y aussi Aleister Crowley, un très mauvais agent selon certains rapports, adepte du satanisme. Ou encore le Français Monti, qui appartenait à plusieurs sociétés secrètes. Très antisémite, il devint ensuite carrément nazi.
Pourquoi vous focaliser sur l’occultisme ?
À l’époque, il y avait beaucoup de passerelles entre ce milieu et l’espionnage. Les agents grenouillaient dans des sectes de différents pays. J’ai envie de montrer cet univers à la croisée de la police secrète et des croyances hérétiques, voire déviantes.
Quels sont vos autres projets ?
Je termine l’adaptation du Roi Rose de Pierre Mac Orlan pour Gallimard. J’avance sur le premier tome de mon journal d’Italie [David B. vit une partie de l’année à Bologne], qui paraîtra fin 2009 ou début 2010 chez Delcourt, dans la collection Shampooing que dirige Lewis Trondheim. Attention, ce ne sera pas un récit de mon quotidien, à la façon des blogueurs. Ce n’est pas mon truc, je ne suis pas capable de m’astreindre à un rythme régulier. Et puis ma vie n’est pas intéressante. Je parle plutôt de livres et films que j’aime, je montre des choses qui m’ont marqué, je rebondis sur la réalité. J’écris le second tome de Terre de feu, que dessine Hugues Micol, ainsi que deux autres ouvrages que publiera Futuropolis. Un pour Hervé Tanquerelle, sur le gang des postiches dans les années 80. Et l’autre pour moi-même, sur la « guerre des Mamadou », ce conflit armé qui eut lieu en 1919 à Marseille entre les Corses rentrant du front et les Africains qui avaient pris en main « leurs » prostituées.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Par les chemins noirs
Par David B.
Futuropolis, édition Intégrale des deux premiers tomes, 22 €, le 7 mai 2009.
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