David Prudhomme et le souffle libertaire de Rébétiko
Il y a des livres qui vous prennent par la main, puis vous bousculent, vous enivrent, vous secouent, vous enchantent. Rébétiko fait partie de ceux-là. David Prudhomme y raconte une nuit d’amitié et de musique, pour évoquer la vie et l’art de ces Grecs d’Asie mineure réfugiés en Grèce, les Rébètes. Une population vivant d’alcool, de femmes, de haschich et de chansons, dans les bidonvilles du Pirée. Et qui sera opprimée par le dictateur en place en cette fin des années 30. Exil, identité, métissage, décrochage par rapport à la marche de la société, relations Orient/Occident, tous ces thèmes sont sous-jacents dans cette puissante bande dessinée. À l’heure du débat sur l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne et du démantèlement des campements d’immigrés clandestins en France, Rébétiko prend une dimension quasi universelle. Rencontre avec David Prudhomme, un grand gaillard de 40 ans à la voix douce, dans le cadre du Festival de Saint-Malo, qui a distingué son travail.
Comment vous êtes-vous intéressé au rébétiko ?
Par hasard. Je ne suis ni Grec, ni musicien (ou en tout cas très mauvais), mais je suis tombé sur un livre écrit par une Australienne, qui retraçait l’histoire de cette musique jouée par des réfugiés grecs d’Asie mineure, arrivés en Grèce dans les années 20-30. Il m’a fasciné et je me suis mis à rassembler de la documentation sur ce sujet. Il existe quelques ouvrages en anglais et en allemand, presque rien en français. Je suis également allé en Grèce, mais comme je ne comprends pas la langue, mes recherches ont été compliquées…
Qu’avez-vous découvert là-bas ?
D’abord que la musique continuait à être jouée, dans des clubs notamment. Mais qu’elle n’a plus rien à voir avec ses débuts, elle s’est depuis longtemps édulcorée. J’ai discuté avec un bouquiniste à Athènes et j’ai compris à travers ses paroles que le rébétiko était une musique du passé, même si elle continue à être jouée. C’est une partie importante de la culture grecque mais comme la nécessité qui a présidé à sa création n’existe plus aujourd’hui, elle est, d’une certaine manière, morte. Le rébétiko est bien ancré et très présent dans l’âme grecque d’aujourd’hui. mais ce qui se vit aujourd’hui, c’est que chaque personne imagine le rébétiko. Chacun a le sien. je me suis octroyé le droit de parler de mon propre fantasme.
Pourquoi s’est-elle éteinte dans les années 30 ?
Le rébétiko était joué, chanté, dansé par les immigrés d’Asie mineure arrivés au Pirée dans les années 20. Il était un cri d’exil et de douleur, mais ses textes ne contiennent pas de propos explicitement politiques ou militants. On y parle aussi beaucoup de femmes, de haschich (dont la consommation était alors très courante), ou tout simplement du quotidien. C‘est une musique de gens simples, pour des gens simples. Rien de vraiment subversif donc. Mais c’était un symbole, l’élément visible de la situation difficile de ces déracinés, ainsi qu’un écho de la culture orientale. La dictature grecque de l’époque ne pouvait le supporter. Et quand tu veux faire taire quelqu’un, tu lui coupes les cordes vocales. L’Europe et son intransigeance ont ainsi décidé du destin de cette musique. Mais le rébétiko n’a pas su mourir. Chaque fois qu’on cherche à étouffer un cri, je crois qu’il renaît, différement peut-être, ailleurs peut-être, mais c’est comme un phénix.
Peut-on voir un parallèle avec le monde contemporain et une certaine forme de censure qui s’attaque au rap notamment ?
Peut-être, même si finalement, la colère exprimée par le rap a fini par être étouffée par l’argent. La société d’aujourd’hui impose des éléments culturels dominants, et les gens ne s’intéressent plus aux autres. Ce n’est plus le bruit des bottes qui fait taire les nouvelles formes d’art, c’est le bruit des pantoufles. Et c’est probablement encore plus compliqué de lutter contre ça.
Les Rébètes étaient également fiers de vivre en dehors de la marche du pays…
Oui, c’est aussi cette vie en marge de la société qui m’intéressait. Se focaliser sur des personnes sur lesquelles le regard ne s’arrête pas en général. Ils ont largué les amarres de la société, et ne la mettent pas directement en danger. Mais en s’exonérant du mode de vie traditionnel, en sortant du registre du commerce officiel, ils inquiètent la société. C’est troublant de constater qu’une forme de fraternité peut à ce point déstabiliser…
Là encore, cette forme de vie en marge et l’hostilité qu’elle déclenche a des résonances contemporaines, avec ces personnes qui revendiquent le droit de ne pas travailler, de pas être recensé…
Il y a surtout le fait que ces exilés et leurs familles étaient parqués dans des bidonvilles, dans des conditions sociales plus que précaires et le travail manquait. Je ne suis pas grec, je ne vivais pas à cette époque ni dans ces conditions, je n’ai pas voulu faire un pensum, une somme sur le sujet du rébétiko. Mais cette musique et les conditions de sa création ont le pouvoir et la force d’impressionner et d’inspirer encore aujourd’hui un étranger à la Grèce, comme moi. C’est une émotion intense. Écouter du rébétiko aujourd’hui, c’est forcément plonger dans un voyage imaginaire, romantique peut-être… Néanmoins, mon livre n’est pas un cri, je ne tape pas du poing sur la table. Je raconte simplement une histoire, dans laquelle on peut percevoir de petits échos de notre monde. À chacun d’en tirer des conclusions.
Vous avez choisi de condenser votre histoire en une nuit de musique et d’alcool avec les Rébètes. Pourquoi ?
J’avais envie d’écrire un déséquilibre, une errance nocturne. Je portais en moi cette histoire d’amitié depuis une nuit que j’ai vécue il y a longtemps, quand je jouais encore dans un groupe à Angoulême. Cette nuit-là, nous avons vécu de belles heures d’amitié, mais nous nous sommes aussi séparé d’un des membres du groupe… C’est cette tension qui m’intéresse. Une tension qui est aussi présente dans le paradoxe même de faire un livre – c’est-à-dire une chose figée – sur un flux, un mouvement, qui lui aussi est amené à prendre fin…
Comment dessiner et mettre en scène un tel déséquilibre ?
Mon idée était de suivre mes personnages, au plus près, sans les lâcher. Le scénario s’est construit au fil de la pensée, les dialogues se sont écrits comme dans un ping-pong. Il y a sans doute parfois des incohérences, mais ça fait partie de cette errance, de cet équilibre précaire qui évoque d’ailleurs la danse des rébètes. Quand ils se lèvent et se mettent à danser, ces types plongent à l’intérieur d’eux-mêmes, à l’intérieur de leur propre douleur. Pour le dessin, je me suis appuyé sur cette spirale. Je ne pouvais pas tenter de « jouer » la musique puisque celle-ci est quasiment inconnue aux oreilles françaises. J’ai donc préféré montrer le mouvement, ainsi que les réactions de ceux qui l’écoutent et la vivent.
Quel effet a-t-elle produit sur vous ?
Au début, je l’ai perçue comme un matériau brut, difficile à percer. Puis j’ai été complètement hypnotisé. Et, comme à l’époque où je dessinais mon livre sur Brassens [La Tour des miracles], je n’ai plus écouté qu’une seule musique en travaillant. À tel point que mes collègues d’atelier n’en pouvaient plus du rébétiko: j’ai dû finir mon album à la maison !
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Rébétiko (la mauvaise herbe).
Par David Prudhomme.
Futuropolis, 20 €, le 8 octobre 2009.
Achetez Rébétiko (la mauvaise herbe) sur Amazon.fr
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J’ai hâte de lire cette BD étant moi même un amateur des rébétika.
Une question à l’auteur : sans vouloir rentrer dans la polémique turco-grecque ou greco-turque pourquoi parler vous de musiciens turcs ? ne s’agit-il pas plutôt de grecs d’Asie mineur ? les rébétika ne sont-ils pas pas plutôt une musique grecque où se mêlent Orient et Occident ? -
J’ai hâte de lire cette BD étant moi même un amateur des rébétika.
Une question à l’auteur : sans vouloir rentrer dans la polémique turco-grecque ou greco-turque pourquoi parler vous de musiciens turcs ? ne s’agit-il pas plutôt de grecs d’Asie mineur ? les rébétika ne sont-ils pas pas plutôt une musique grecque où se mêlent Orient et Occident ? -
oui. si . il s’agit bien de grecs réfugiés d’Asie mineure. ma langue a fourché. je n’ai pas bien du prendre le temps de développer ce point à Benjamin lors de l’entretien et je m’en excuse auprès de lui et des lecteurs de cet article.
Si mes informations sont exactes, en 1922, après le drame de Smyrne, ce sont les personnes orthodoxes d’origine grecque vivant en turquie (et ce parfois depuis des générations) qui furent renvoyées en Grèce.
Parmi les musiciens, il y eut aussi nombre de rébètes qui venaient des îles grecques, ainsi que des continentaux…Dans l’album je crois que je mets « turc » dans la bouche d’un policier mais c’est une provocation de sa part…
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oui. si . il s’agit bien de grecs réfugiés d’Asie mineure. ma langue a fourché. je n’ai pas bien du prendre le temps de développer ce point à Benjamin lors de l’entretien et je m’en excuse auprès de lui et des lecteurs de cet article.
Si mes informations sont exactes, en 1922, après le drame de Smyrne, ce sont les personnes orthodoxes d’origine grecque vivant en turquie (et ce parfois depuis des générations) qui furent renvoyées en Grèce.
Parmi les musiciens, il y eut aussi nombre de rébètes qui venaient des îles grecques, ainsi que des continentaux…Dans l’album je crois que je mets « turc » dans la bouche d’un policier mais c’est une provocation de sa part…
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Bonjour David,
c’est vrai que pour faire taire quelqu’un, le plus commode est de lui couper les cordes vocales. Mais après, ses enfants peuvent continuer à chanter. Et les politiciens ne pourront jamais rien contre ça.
C’est notre cas et même si nous vivons à Genève, nos origines grecques nous ont conduit à reprendre les vieux rebetika en respectant au mieux le style original avec une formation bouzouki-baglama-guitare. Vous pouvez nous écouter sur http://www.myspace.com/rebeteke et nous joindre à rebeteke@xygalas.com.
Bravo pour votre merveilleux livre. Nous avons tous les trois adoré ! Et revoir Batis, Markos et cie en action a été un plaisir.
Au plaisir de vous lire.
Geia sou !
Nontas
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Bonjour David,
c’est vrai que pour faire taire quelqu’un, le plus commode est de lui couper les cordes vocales. Mais après, ses enfants peuvent continuer à chanter. Et les politiciens ne pourront jamais rien contre ça.
C’est notre cas et même si nous vivons à Genève, nos origines grecques nous ont conduit à reprendre les vieux rebetika en respectant au mieux le style original avec une formation bouzouki-baglama-guitare. Vous pouvez nous écouter sur http://www.myspace.com/rebeteke et nous joindre à rebeteke@xygalas.com.
Bravo pour votre merveilleux livre. Nous avons tous les trois adoré ! Et revoir Batis, Markos et cie en action a été un plaisir.
Au plaisir de vous lire.
Geia sou !
Nontas
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Bonjour Benjamin,
pourquoi mon commentaire de hier a-t-il été supprimé ? Ai-je été à l’encontre de certaines règles qui régissent cet espace ?
Toujours joignable à rebeteke@xygalas.com
Merci d’avance pour les éclaircissements.
Nontas
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Bonjour Benjamin,
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Toujours joignable à rebeteke@xygalas.com
Merci d’avance pour les éclaircissements.
Nontas
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Merci beaucoup !
Bonne journée.
Nontas
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Nontas
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