David Sánchez: « En Espagne, on me juge bizarre »
Le quadragénaire David Sánchez, a publié en France sa première BD en 2017 aux éditions Presque Lune, dix ans après sa publication en Espagne, aux éditions Astiberri. Son succès au-delà des Pyrénées ne se dément pas avec six albums et de nombreux travaux en tant qu’illustrateur. Rencontre avec le nouveau visage de la BD trash à l’espagnole, prix de la révélation en 2010 au festival BD de Barcelone.
Comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?
En Espagne, il n’y a pas de culture BD, c’est souvent considéré comme un truc pour enfants, même si la scène comics se développe aujourd’hui. Je ne pensais pas que c’était une carrière possible, je n’ai pas fait d’école spécifique. En revanche, j’avais un frère de 11 ans mon aîné qui lisait pas mal de BD étrangères, d’Hergé à Moebius. En grandissant, j’ai pris goût aux séries propres à la BD indé américaine, comme les œuvres de Charles Burns. À cela s’ajoute mon goût pour les films de série Z américains comme Supervixens de Russ Meyer. Ce sont mes influences.
Comment avez-vous abordé Tu m’as tué, publiée en France par Presque Lune ?
C’est une BD que j’ai écrite en me disant qu’il fallait que je réalise mon désir de faire ce que j’aimais. Je venais de passer la trentaine, c’était le moment ! Je l’ai dessinée chez moi, avec un programme informatique assez basique, que je n’utilise plus aujourd’hui, mais qui correspondait bien à mon envie de ligne claire. Toujours en m’inspirant de cet univers américain un peu trash. Mes dernières BD peuvent apparaître plus organique, moins froides, plus détaillées, mais c’est une question de logiciel tout autant que d’évolution de mon style ; il y a plus de possibilités, ce qui n’était pas le cas pour Tu m’as tué.
Vous ne vous êtes pas vraiment censuré dans cette oeuvre…
L’idée n’est pas de gêner le lecteur, mais de l’impressionner, je crois. La violence, comme le sexe, est un bon ressort narratif pour impressionner le lecteur, non ?
Vos personnages sont très stéréotypés.
Oui, c’est vrai. C’est un hommage à ces personnages de films américains, toujours sur la route : détectives, mormons, flics…
L’étrangeté semble dominer votre oeuvre. La revendiquez-vous ?
En Espagne, on me considère comme bizarre. D’ailleurs, je pense que mon travail aura une meilleure audience ici, en France, même si j’ai de fidèles lecteurs en Espagne. Dans ma deuxième BD, No cambies nunca, la narration est très étrange. Ce livre, quand j’y repense, et même si c’est une œuvre que j’aime beaucoup, me semble se jouer un peu trop du lecteur. Elle exige finalement beaucoup trop, avec une histoire cryptée… mais bien trop cryptée avec du recul ! Tu ne peux pas prétendre que quelqu’un comprenne ton intention juste parce que tu as changé la couleur de la vignette. Ce qui est bien, c’est que je crois m’être débarrassé, au fur et à mesure, de ces effets-là. Dans le dernier ouvrage paru en Espagne, les chapitres se concluent … mais les gens continuent de trouver ça bizarre ! Même si j’utilise les mêmes ressorts comme le sexe ou la violence, j’ai l’impression de les utiliser à meilleur escient. Ce qui semble bien fonctionner. Mon dernier travail, je pense, est beaucoup plus dur, paradoxalement, pour le lecteur. Alors que Tu m’as tué, que j’avais écrit de manière très dramatique initialement, me semble aujourd’hui assez divertissant.
Comment travaillez-vous ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je n’ai jamais été aux États-Unis. Mon rapport à ce pays, je l’ai à travers les films, les BD… Bien sûr, j’en joue. Je ne suis pas quelqu’un qui bouge beaucoup, je vis dans mon village dans la montagne, dans la région de Madrid, avec ma famille. Et je bosse sur mon ordinateur. Je n’ai pas envie de passer aux crayons, j’ai trouvé mon style ainsi. En outre, je n’écris pas beaucoup dans mes BD : je ne me considère pas comme un écrivain, je suis un dessinateur. Je ne suis pas à l’aise avec le mode narratif écrit. Bien sûr, j’essaie de trouver un équilibre mais ça émerge comme ça, sans beaucoup d’écrits. Finalement, Tu m’as tué est ma BD avec le plus de textes ! J’ai encore plus épuré depuis ! Surtout pour mon futur projet, où les héros sont des hommes préhistoriques. L’épure, je la trouve aussi dans le format : 6 cases, 6 carrés. C’est juste aussi que je ne veux pas me casser la tête, tout simplement. Toutefois, actuellement, je cherche d’autres voies, j’expérimente. Par exemple, mon dernier album est d’un format plus grand. Cela me paraît assez normal : en tant qu’autodidacte, mes trois premières BD celles de l’apprentissage, maintenant que je suis plus à l’aise, plus mûr, je peux explorer autres voies. Au début, je devais tout apprendre, et je me suis beaucoup concentré sur la narration au détriment des autres points.
Pensez-vous délivrer un message, quelque chose de plus profond du divertissement ?
Les premiers travaux, je les ai vraiment faits pour m’amuser, comme un divertissement pour le lecteur. Pour le dernier, j’aimerais peut-être que le lecteur y voit quelque chose d’autre. C’est actuellement le travail dont je suis le plus fier, comme un point d’orgue dans ma carrière.
Quels sont vos projets, en France ou ailleurs ?
J’espère que Presque Lune va poursuivre l’édition de mes BD espagnoles. Cela semble assez bien parti pour le deuxième. J’ai essayé par la suite de me dégager de toutes ces influences présentes dans Tu m’as tué, avec une volonté de trouver ma propre voie, tout au long des cinq ouvrages qui ont suivi le premier. Je crois que dans le dernier, qui s’appelle Un milión de años, je l’ai trouvée. Je croise aussi les doigts pour être publié aux États-Unis, il y a peut-être une possibilité ! Et puis j’ai commencé à dessiner mon septième livre pour Astiberri, tout en continuant mon travail d’illustrateur.
Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Marc Lamonzie
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Tu m’as tué.
Par David Sánchez.
Presque Lune, 15 €, novembre 2017.
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