Davide Cali et Vincent Pianina dissèquent « 10 petits insectes »
Ils nous avaient emballé avec leurs 10 petits insectes l’an dernier. Bonne nouvelle, Davide Cali et Vincent Pianina reviennent avec leurs bestioles, cette fois perdues dans le brouillard. Un bijou de bande dessinée jeunesse, aux couleurs douces et à l’humour foldingue, qui séduira à coup sûr bien petits et grands. Interview de deux auteurs aux multiples envies et projets.
Quelle est l’origine du projet 10 petits insectes ?
Davide Cali : J’ai toujours adoré les romans d’Agatha Christie, notamment Dix petits nègres, et j’ai souvent imaginé en reprendre l’histoire avec une entrée comique et parodique. J’ai également toujours eu une grande passion pour les insectes. Ils sont souvent au cœur de mes histoires. Quand j’ai imaginé d’unir les deux choses, cela a donné naissance aux 10 petits insectes !
Vincent Pianina, 10 petits insectes est votre premier projet jeunesse. Comment avez-vous rencontré Davide Cali ?
Vincent Pianina : Lors de ma dernière année d’étude, je ai rencontré Gwen de Bonneval à la librairie Expérience à Lyon. Ayant de bons souvenirs du magazine Capsule Cosmique qu’il avait créé (et qui n’existe malheureusement plus), je lui ai montré mes travaux, car son avis comptait pour moi. Comme le contact est très bien passé entre nous, et qu’il était directeur de la collection de bande dessinée chez Sarbacane, qui comporte plusieurs titres que j’apprécie, c’est tout naturellement que je suis allé chez Sarbacane dès ma sortie de l’école. Avec des images, des projets, des histoires… Et au milieu de tout ça, il leur a rapidement paru évident qu’ils tenaient le deuxième larron de 10 petits insectes, un projet que Davide leur avait proposé quelque temps auparavant. Ils m’ont imprimé le scénario, j’ai bien rigolé, c’était effectivement proche de moi, j’ai accepté.
Comment s’est organisée la répartition des tâches sur ce projet ?
D.C. : Pour le premier tome, j’ai proposé à l’éditeur et à Vincent un scénario que j’avais en partie dessiné. C’était pour moi le moyen le plus simple d’expliquer simplement une histoire qui comporte autant de personnages. Ensuite, Vincent a apporté son grain de sel, changé de nombreuses choses et ajouté des gags. Il s’est vraiment plongé dans l’histoire et surtout dans l’esprit des personnages. Au final, nous avons beaucoup mélangé nos métiers de scénariste et de dessinateur. Gwen de Bonneval a eu du nez de nous associer, car nous nous sommes très bien entendus.
V.P. : Davide ayant déjà plusieurs scénarios à son actif, je ne savais pas comment cette intrusion allait être perçue… j’ai vraiment été content qu’il me laisse cette liberté. Le résultat est véritablement un mélange de nous deux, c’est très agréable ! Et il y a eu de nombreux allers-retours avec l’éditeur pour mettre cela bien au point, ce qui est très appréciable.
Quelle liberté avez-vous eue dans la mise en images de cet univers et surtout de cette galerie de personnages ?
V.P. : Dans le scénario dessiné de Davide, on pouvait déjà reconnaître les principaux traits physiques des personnages. Il avait même déjà attribué une couleur à chacun. J’ai conservé ce principe. Ensuite, j’ai cherché à quoi ressemblaient les vraies espèces dont il était question, afin d’en extraire un détail d’insecte par personnage. Je voulais un mélange entre des bonshommes et des insectes. L’éditeur m’a suggéré d’affiner mon trait habituel pour m’adapter à ces petites bestioles. Concernant les choix graphiques, le système de ne pas mettre de cerné noir aux décors s’est imposé devant ce régiment de dix personnages, qui en plus ont de fines antennes sur la tête, ce qui pouvait parasiter le dessin. Ainsi, le décor passe vraiment derrière. En dessinant directement les décors avec la couleur et en traçant les traits intérieurs en bleu au lieu de noir, j’ai pu dessiner des détails tout en restant lisible. On peut rapprocher cela des techniques de dessin animé où les personnages sont sur un celluloïd à part. Pour revenir aux personnages, je voulais des formes simples et des mouvements raides, car il me semble que c’est le meilleur moyen de les rendre drôles. Je souhaitais aussi qu’ils soient faciles à reproduire par des enfants; je souhaite accompagner, pas impressionner. D’ailleurs, j’ai reçu des dessins de personnages-insectes inventés par des enfants, que j’ai fait intervenir dans le deuxième épisode !
Aviez-vous imaginé une suite dès l’écriture du premier tome ou est-ce son succès qui a ouvert la porte à un deuxième opus ?
D.C. : À la fin du premier tome, j’avais un peu du mal à quitter le groupe de personnages que nous avions inventé. J’ai donc commencé à imaginer une suite. Au départ, j’avais pensé expliquer comment les personnages morts dans la première aventure revenaient dans un deuxième livre… Mais toutes les explications étaient un peu déjà vues. Nous nous sommes donc dit : « On s’en fiche ! », et on a tout simplement démarré une nouvelle histoire. Si le premier tome était inspiré évidemment par Agatha Christie, pour le deuxième je suis resté dans le genre policier, mais en changeant d’époque et en rendant hommage à un réalisateur américain que j’adore, mais je vous laisse découvrir qui…
Est-ce que vous envisagez de faire de ce concept, une vraie série ?
D.C. et V.P. : Bien sûr, si ces personnages nous amusent toujours autant et qu’ils amusent aussi les lecteurs !
On aimerait les catapulter dans plusieurs genres : aventure, western, Moyen-Âge, etc. Le principe de s’en servir comme d’une troupe de comédiens pour interpréter de nouvelles histoires permet cela. Nous avons commencé l’écriture du troisième : ce sera de la science-fiction !
Davide Cali, vous écrivez à la fois des albums de littérature de jeunesse et des scénarios de bande dessinée. Comment abordez-vous ces deux supports ?
D.C. : J’ai commencé à travailler comme auteur de BD adulte, en Italie, dans la revue mensuelle Linus. Les albums son arrivés après; d’ailleurs, je raconte toujours que la première fois que l’on m’a proposé un projet de livre jeunesse, j’ai refusé. C’est grâce à une exposition qui circulait à travers les centres culturels français en Italie, et qui proposait une sélection des meilleurs albums jeunesse, que j’ai compris que certaines choses que j’avais envie de faire ne pouvaient voir le jour que dans de tels albums. 10 petits insectes est donc un retour aux sources pour moi. J’aime bien alterner les deux genres, j’ai toujours besoin de changer, de lancer de nouveaux projets.
Vous n’êtes donc pas que scénariste, mais également dessinateur.
D.C. : Après avoir illustré moi-même mes premiers titre, les éditeurs ont commencé à préférer mes histoires à mes dessins. Au début, je n’étais pas vraiment emballé à l’idée de partager mes histoires avec quelqu’un d’autre, mais petit à petit, j’ai accepté cette idée et j’ai commencé à écrire plein d’histoires. Du coup, je me suis trouvé à ne plus avoir assez de temps à consacrer au dessin. J’avais tellement de projets en cours qu’il fallait suivre et accompagner, que c’était même impossible d’imaginer les dessiner moi-même.
Vincent Pianina, quel est votre parcours ?
V.P. : Je suis né à Lyon en 1985. Après un bac arts appliqués, j’ai intégré l’école Émile Cohl. J’y ai rencontré une poignée de camarades de classe avec qui j’ai fondé le collectif Arbitraire, qui génère entre autres de petits livres aux couvertures sérigraphiées et surtout une revue de bande dessinée qui en est à son 10e numéro – et qui a maintenant un atelier.Pendant mes études, j’ai autopublié des petits livres au sein d’Arbitraire et je commence à être publié par des maisons d’édition. Sorti de l’école, j’ai travaillé dans la presse et je me suis mis à la bande dessinée plus sérieusement. J’ai également travaillé sur un jeu de société, un clip en animation, des affiches, de l’installation en vitrine. Je commence aussi à faire des livres jeunesse.
Votre univers graphique est singulier, teinté de nostalgie… Quelles sont vos influences ?
V.P. : Je suis très nourri par l’art brut, l’art naïf et les dessins d’enfants. J’ai une passion de l’imagerie pour la jeunesse en général et les illustrés des années 1920-1940. J’aime l’art populaire hongrois, nicaraguais, russe, tchèque, finlandais et j’ai une conception personnelle du dessin simple et raide pour favoriser l’humour et donner envie de dessiner. Mais si je commence à parler de l’humour des formes et de la dictature du dessin à l’école primaire, je ne vais pas m’arrêter!Concernant des auteurs en particulier qui m’ont aidé à distance, je peux citer non-exhaustivement Benoît Jacques, Lucien Laforge, Marc Boutavant, Eva Natus Salamoun, John Broadley, Vladimir Lebedev, Kitty Crowther, Aino-Maija Metsola, Emmanuel Pierre Jockum Nordstrom, Olivier Schrauwen, Fletcher Hanks, Ronald Grandpey, Steinberg, Charley Harper…Je dois aussi beaucoup à une image que j’ai vue une fois dans un recueil d’illustrations en librairie, il y a des années. Je suis incapable de me souvenir dans quel livre elle figurait et qui l’avait dessinée, mais à chaque fois que je travaille, je me remémore ce qui se dégageait de cette image et j’essaye d’être à la hauteur. C’était un extrait d’une histoire où il était question d’un zèbre et d’un enfant dans une ville. L’image était noire, ocre et bleu profond sur blanc… si quelqu’un sait de quoi je parle, ça me rendrait bien service !
Auriez-vous envie de réaliser une BD où vous seriez le seul maître à bord ? En jeunesse ? Pour adultes ?
V.P. : Quand j’étais étudiant, j’ai déjà réalisé un petit livre en solo chez 6 pieds sous terre, Les Désaventures de monsieur Patigon. Et puis mes livres chez Arbitraire. Le tirage ne dépasse jamais 100 exemplaires, et quand c’est épuisé, ce n’est pas retiré ! Ces livres plus confidentiels comptent beaucoup pour moi. Ils m’aident à conserver une certaine fraîcheur dans mon travail. En fait, j’avais des histoires dans ma musette quand je suis venu trouver Sarbacane, mais nous avons choisi de nous concentrer sur 10 petits insectes. Du coup, j’ai plusieurs projets personnels qui s’accumulent ! Par exemple, j’avais une histoire nommée Titre Provisoire, qui paraissait dans la revue Lapin, et je travail sur un livre, Les 40 Ali Baba et le Voleur, qui paraîtra prochainement à L’Association. Il y a aussi des livres jeunesse qui paraîtront cette année, et j’ai aussi le projet d’une autre série avec… Davide !
Propos recueillis (par mail) par Romain Gallissot
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10 petits insectes dans le brouillard.
Par Vincent Pianina et Davide Cali.
Sarbacane, 12 €, novembre 2011.
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