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« De Cape et de crocs », rideau !

4 juin 2012 |

cape_introDes animaux qui évoluent au XVIIe siècle et se parlent en alexandrins. Un pari gonflé donc, mais réussi au-delà de leurs espérances par le scénariste Alain Ayroles, 44 ans, et le dessinateur Jean-Luc Masbou, 49 ans. Dix-sept années durant, ils ont mis en scène le loup Don Lope, le renard Armand et le lapin Eusèbe, leur faisant vivre au fil de dix épisodes des aventures échevelées. Et les confrontant même au Maître d’armes, un personnages haut en couleurs et magnétique, rappelant furieusement Cyrano de Bergerac. Cet « énorme mensonge raconté avec beaucoup d’aplomb », selon leurs propres termes, leur a fait vendre plus d’un million d’albums. Mais aujourd’hui, les auteurs ont décidé de mettre un point final à De Cape et de crocs. Ils s’en expliquent à BoDoï, en sirotant un verre de vin naturel dans un restaurant parisien.

DE CAPE 10_cs4.inddPourquoi arrêter votre série ?
Alain Ayroles : Parce que le moment était venu. On a toujours eu beaucoup de flamme, de passion pour De Cape et de crocs. Mais l’histoire se clôt aujourd’hui naturellement. Certes, nous aurions pu la faire durer, utiliser au maximum nos personnages, qui ont une certaine épaisseur et une vie propre. Mais, à l’heure où nous voyons tant de héros surexploités, y compris après la mort de leurs créateurs, nous n’avons pas voulu céder à une logique uniquement mercantile. Nous voulions nous arrêter au zénith, sans entrer dans une routine qui aurait diminué notre plaisir.

Comment termine-t-on un tel récit ?
A.A. : Il faut se préparer psychologiquement à dire adieu à nos protagonistes, on ne les reverra plus – ou presque. C’est très émouvant, comme si l’on quittait des amis… J’ai déjà vécu ça avec une autre de mes séries, Garulfo. De Cape et de crocs a failli s’arrêter après neuf tomes, mais il nous aurait fallu bâcler la fin. Voilà pourquoi elle est étalée sur deux volumes. Le secret, pour se sentir toujours motivés, est de se fixer des gageures pour chaque album. Pour celui-ci, je me suis par exemple obligé à organiser une scène entière sur cinq pages, respectant une unité de temps, de lieu et d’action. J’ai en quelque sorte créé une pièce de théâtre, que l’on pourrait porter telle quelle sur scène, au sein du livre – logique pour une série aussi imprégnée de théâtre !

DE CAPE 10_cs4.inddJustement, l’hommage à Edmond Rostand et son Cyrano de Bergerac se poursuit…
A.A. : Oui, l’action se situe chez le Maître d’armes, sur la lune. J’ai été à la fois influencé par le personnage de Rostand et par le vrai Cyrano de Bergerac, qui fut un très grand écrivain, à l’oeuvre fascinante. Son Voyage dans la lune fut terriblement novateur, il se lit aujourd’hui comme un vrai roman de science-fiction aux visées philosophiques. Dans De Cape et de crocs, on ne connaît jamais le vrai nom du Maître d’armes. J’ai sciemment entretenu l’ambiguïté sur l’identité de ce personnage.

Cyrano de Bergerac, c’est votre livre de chevet depuis l’enfance ?
A.A. : Pas du tout ! Figurez-vous que je l’ai lu très tardivement, au début de De Cape. Je n’avais jamais lu Les Trois Mousquetaires non plus… Ma culture littéraire s’est bâtie au fil des tomes. J’ai découvert Boileau, Scarron… C’est venu petit à petit, permettant d’étoffer scénaristiquement et graphiquement – grâce à une plus grande documentation – la série.

Quel type de XVIIe siècle avez-vous cherché à recréer ?
A.A. : Une époque fantaisiste, avec des animaux qui parlent. Nous ne prétendons pas être réalistes, nous voulions respecter l’esprit plutôt que la lettre. Le personnage du Prince Jean cristallise la société de cour. D’autres sont très actuels, comme Cénile, qui représente l’ultra-libéralisme et l’avidité de la finance. Ou au contraire intemporels, comme Mendoza, inspiré par l’éternel méchant des films de cape et d’épée, Guy Delorme. Chaque protagoniste est un archétype théâtral, comme dans la commedia dell’arte.

Que vient faire Eusèbe dans tout ça ?
A.A. : C’est un gentil lapin très mignon, naïf, courageux. Son passé est toutefois sulfureux, comme on va le découvrir…

DE CAPE 10_cs4.inddIl y aura donc un spin-off à De Cape et de crocs ?
A.A. : Non, pas vraiment. Juste un récit en deux volumes, déjà écrit, qui répondra aux questions que les lecteurs se posent. On saura ainsi pourquoi il a été condamné aux galères, et comment il est devenu garde du Cardinal. Il y aura plein de quiproquos, de rebondissements, de la cruauté, et de la romance aussi… Le contexte sera plus strictement historique, et des personnages secondaires de la série – mais pas les héros principaux – apparaîtront. On y verra le mystérieux et très peu fréquentable Fulgence, frère d’Eusèbe, ourdir un complot avec un certain Fagotin, personnage fort peu recommandable. Cela nous permettra de redescendre en douceur, et offrira une sorte de bonus à notre public.

Comment crée-t-on l’ambiance de De Cape et de crocs ?
A.A. : Nous essayons de ne pas nous prendre au sérieux. Les lecteurs attentifs retrouveront dans la série des clins d’oeil aux Monty Python, à StarWars, ou à Gotlib. J’ai même essayé de glisser une référence à la chanson chorégraphiée du Time Warp du Rocky Horror Picture Show, mais ça a finalement été coupé.
Jean-Luc Masbou : La couleur est ici un élément narratif essentiel, et c’est pourquoi je ne l’ai confiée à personne. Elle permet de pénétrer dans une histoire totalement fantaisiste, en donnant un semblant de réalité. Il y a bien sûr des passage de poésie pure, comme la représentation de la cité lunaire de cristaux, dans les nuages. Mais je me suis attaché à représenter une Venise crédible, par exemple. Des couleurs différentes, selon les lieux de l’action, permettent de passer d’une scène à l’autre ou d’une temporalité à l’autre. Ainsi, les lecteurs voyagent sans être trop déboussolés.

DE CAPE 10_cs4.inddAlain Ayroles, ne vous êtes-vous jamais lassé d’écrire en alexandrins ?
A. A. : Non. Au fil du temps, j’ai appris à les travailler afin que mes dialogues soient plus fluides et respectent davantage les règles de métrique classique. J’ai tenté de les rendre lisibles et musicaux, avec des rimes si possible riches. J’avais une autre contrainte, celle de la concision : il fallait les installer dans des phylactères qui n’occupent pas toute la case ! En rédigeant son Art de la poétique, Boileau n’avait pas pensé à cela…

Comment expliquez-vous le succès de De Cape et de crocs ?
A. A. : C’est un récit exigeant, complexe, où les personnalités des héros sont creusées et le niveau de langage soutenu. De façon étonnante, il a touché les jeunes comme les personnes plus âgées, qui ne lisent jamais de BD. Nous voulions créer plusieurs niveaux de lecture, c’est la preuve que nous avons réussi. La série a même été traduite en gascon, basque, allemand, danois, flamand, serbe, espagnol, italien…

DE CAPE 10_cs4.inddComment avez-vous réagi à son adaptation sur les planches ?
A. A. : Nous étions prudents au début, mais cela s’est révélé tout simplement génial… Nous avons expérimenté la magie du spectacle vivant en voyant un galion reconstitué avec trois bouts de ficelle ! Nous avons été contactés pour une adaptation au cinéma, pour l’instant à l’état d’ébauche. Le travail paraît titanesque, le budget faramineux. Forcément, des héros animaliers et des duels sur la lune, ça complique les choses… Nous ne nous impliquons pas outre mesure, car cela ne nous fait pas rêver. Jean-Luc et moi avons travaillé dans l’animation, et nous avons vu des oeuvres trahies pour des questions de budget. Par contre, je rêve d’ un feuilleton radiophonique tiré de De Cape et de crocs

Quels sont vos projets ?
A. A. : Je prépare le troisième et dernier tome de D., avec Bruno Maïorana. Et j’ai des envies d’albums : de l’heroic fantasy en solo, avec L’Âge des chiens chez Delcourt, qui comportera des elfes, gobelins, trolls et dragons ainsi que des personnages lancés dans un road movie à la Jim Jarmush ; et un one-shot dessiné par un artiste talentueux, dont je dois taire le nom pour le moment.
J.-L. M. : Je vais dessiner le troisième volume d’Empire Céleste avec Thierry Leprévost. Et j’écris ma propre histoire : Monster Club sera un one-shot mettant en scène un crypto-zoologue, à l’époque victorienne.

Pour De Cape et de crocs, la page est donc définitivement tournée ?
A. A. : Ce qui aurait de la gueule, ce serait d’y revenir. Mais vingt ans après [le titre d’un roman d’Alexandre Dumas, suite des Trois Mousquetaires], forcément…

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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De Cape et de crocs #10 : De la Lune à la Terre
Par Jean-Luc Masbou et Alain Ayroles.
Delcourt, 13,50€, le 11 avril 2012.

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Images © Delcourt.

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Commentaires

  1. Robert & René

    Aaaah, enfin un mot sur De Cape ! Le tome 10 est sorti depuis quelques temps tout de même :)

    Pour qui ne connaît pas, foncez ! Profitez des dernières éditions reliant plusieurs volumes pour vous faire un avis. Rien que le texte remporte tous les suffrages.

  2. Robert & René

    Aaaah, enfin un mot sur De Cape ! Le tome 10 est sorti depuis quelques temps tout de même :)

    Pour qui ne connaît pas, foncez ! Profitez des dernières éditions reliant plusieurs volumes pour vous faire un avis. Rien que le texte remporte tous les suffrages.

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