Decorum #2
Tour de force graphique, le premier tome de Decorum marquait l’irruption tonitruante sur la scène comics d’un artiste virtuose, Mike Huddleston. Un touche-à-tout au talent démesuré, capable de briller dans tous les styles, et qui offrait alors une démonstration technique de haute volée. Le feu d’artifices proposé n’avait qu’un défaut : ne se mettre que d’assez loin au service de l’histoire. La faute sans doute au départ un peu laborieux côté scénario donné à sa nouvelle épopée de SF par le surdoué Jonathan Hickman (Power of X/House of X, Pax Romana). Tous les éléments d’un bon feuilleton étaient convoqués : une tueuse à gages, sa jeune protégée, une secte cosmique… Mais comme posés là, mal agencés les uns avec les autres dans une sorte de Rubik’s Cube baroque extrêmement séduisant mais un peu abscons.
Excellente nouvelle : le tome 2 apporte l’éclairage tant attendu sur les enjeux de la série en croisant enfin ses fils narratifs. Même l’imbitable Église de la Singularité avec ses robots cosmiques en quête d’un œuf géant se décide à montrer son jeu. Et le résultat est… extraordinaire. Loin des évidences immédiates auxquelles nous a habitués l’éditeur Image, les Saga, Black Science, ou même East of West de Hickman justement, cette série-là est équipée d’un moteur diesel mais une fois lancée, elle s’avère inarrêtable. Rock, enlevée, musclée, vraiment drôle, peuplée de personnages excellemment campés, cette odyssée spatiale trouve ici une vraie épaisseur dramatique. La piquante Neha Nori Sood confirme quelle belle héroïne elle fait, et sa mentor Imogen Smith-Morley n’est pas en reste, en figure maternelle douée pour abréger les souffrances de ses cibles.
Ce qui n’était dans le tome 1 qu’un trip dépaysant éminemment plaisant mais frustrant devient dès lors un formidable voyage émotionnel et sensoriel dont les audaces graphiques sont moins là pour faire le malin que pour apporter une profondeur supplémentaire. Ce qu’on prenait à tort pour des affèteries et du maniérisme de la part d’Huddleston se révèle parfaitement en phase avec les ambitions de la série : chaque rupture de style, de mise en couleurs ou de technique visait bien depuis le début à donner une texture additionnelle à chaque scène. Il fallait juste pour s’en rendre compte un peu plus d’humilité dans la manière de raconter cette histoire. Miracle, on a l’impression de découvrir enfin le projet pour ce qu’il aurait dû être dès le départ : un spectacle total satisfaisant à tous les niveaux et explosant les limites de son medium pour proposer une rarissime expérience de lecture en 3D. Voire carrément en 10D. Enfilez vos lunettes, ambiance séance en IMAX.
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