Dédales #1
Alors qu’il dessine un auto-portrait sans le savoir, un grille-pain clinquant lui renvoie une image dans laquelle il souhaiterait se « perdre à jamais ». Brian, de l’aveu de son pote Jimmy avec qui il prépare un film, est un type un peu bizarre. Souvent perdu dans ses pensées ou absent au réel, il préfère mettre en image un monde visqueux et horrifique, étincelant, peuplé de méduses volantes et de corps nus enfermés dans des cosses. Ou peut-être le rêve-t-il. Brian, lui, se voit plutôt comme un « alien compressé, assis à une autre table, dans un autre monde ». Et entre Brian et Jimmy, la fascinante Laurie, premier rôle de leur prochain film. Une rencontre peut-être décisive…
Plutôt qu’analyser les BD de Charles Burns, le mieux est encore de se laisser happer par leurs ambiances fascinantes, à mi-chemin entre le rêve et la réalité, toujours source d’étrangeté. Dédales, premier tome d’une série signée Charles Burns et publiée exclusivement en France par Cornélius, sait vous perdre avec maestria en quelques pages, avec un seul dessin parfois, sans sacrifier le fil narratif : premiers émois de Brian face à la vénéneuse Laurie, jalousie latente envers Jimmy et pulsions de mort dans le film de jeunesse. La chronique adolescente qui saisit une construction de soi dans la perte (pas loin de Black Hole) se double d’un jeu sur l’espace fictionnel et la manière dont le lecteur peut l’investir.
On aborde alors le domaine de Freud, la psychologie et l’inconscient : c’est la grande réussite de ce Dédales, qui joue sans facilité des miroirs entre névroses et désir, rêves et réalité, ajoutant une petite touche hallucinatoire avec ses multiples niveaux de lecture et autres mise en abîme.
Dernier point, les éléments d’horreur et de fantastique qui creusent le sentiment de malaise ou le vertige, issus d’un sens qui nous échappe. Burns nous perd moins qu’il nous fascine, sans être dupe de son sujet par cette mise à distance en forme d’hommage au cinéma et à ses moyens. Appréciez ces splendides portraits en noir et blanc magnifiés par un coup de crayon maniaque ; ces paysages, minéraux ou végétaux, hantés de détails et d’obsessions. Difficile de parler de ce visuel qui se passe de mot : un trait organique troublant de réalisme, dont on goûte parfois le romantisme macabre.
On pourrait citer d’autres références (comme Lynch) mais Charles Burns fait surtout du Burns. Un talent hors normes. Un premier album intrigant, en peu de pages mais déjà très riche. On en tremble encore…
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