Dédales #2
Une créature tentaculaire – sorte de cerveau à pattes – relâche des cosses dans la nature. De l’enveloppe déchirée, qui se trouve au sol, sort un humain. L’homme semble voir une crinière rousse dans le vent, et des cellules. Puis la créature s’envole dans le ciel… Scène d’un film imaginé par Brian, où Laurie, la fille qui l’ensorcèle, doit jouer l’un des rôles. Dans sa salle de montage plongée dans le noir, Brian s’impatiente car Laurie, habituellement ponctuelle, n’est toujours pas là. Quand soudain débarque une petite troupe éméchée : Jimmy, Tina et Laurie. Brian n’est pas d’humeur à faire la fête et ses potes, un peu hilares, ont l’air de se moquer de lui, et de sa mère qui dort à l’étage. Le sourire en coin et un peu l’écart, Laurie semble effacée…
Grande joie de retrouver Charles Burns, l’auteur acclamé de Black Hole et d’une trilogie mémorable (Toxic, La Ruche, Calavera), pour ce second volet d’une série créée pour la France et Cornélius. On suit la trajectoire de Brian, jeune homme timide et solitaire, effacé même, plus à l’aise dans ses fictions qu’auprès de ses amis ou de Laurie. Il aime dessiner, se représenter le monde avec des croquis, des storyboards et des pages de notes, jusqu’à volontiers s’y perdre. Entre des poussées alcoolisées, une mère à la dérive, le tournage d’un film et son obsession discrète pour Laurie, Brian tente de se frayer un chemin que lui-même semble pour l’heure ignorer, incapable de choisir entre ses rêves et son désir naissant. Ce qu’il voudrait, c’est éclore, pour regarder l’horizon au pied d’un sapin, au calme, en compagnie de Laurie…
Toujours ailleurs, quelque part à la lisière des mondes de la psyché, du réalisme et du rêve, Dédales nous promène dans la vie de Brian, de ses obsessions et malaises, pour multiplier les registres de réalité et les niveaux de lecture. Un peu de symbolisme avec la cosse, de l’humour potache avec des fesses dénudées, du surréalisme et de douces névroses. Une élégance vénéneuse, des cheveux de flamme, des gouffres d’angoisse adoucis par la beauté du dessin. Pas de grand suspense ici, mais un temps suspendu qui fascine de bout en bout par son étrangeté. Disons-le, au-delà du scénario assez banal, c’est surtout l’époustouflante maîtrise graphique qui subjugue. Charles Burns n’a peut-être jamais été aussi expressif et puissant, que ce soit dans la couleur ou le noir et blanc, le portrait ou le paysage. Son trait est organique, viscéral, les trames virtuoses, le tout couplé à des cadrages léchés qui ne cessent de troubler en multipliant les points de vue. Vertige du sens qui échappe, romantisme crépusculaire, Dédales est jusqu’à présent un magnifique récit d’atmosphère, une très belle série sur la construction de soi, par l’un des plus grands.
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