Dementia 21 #1



Digne héritier de l’OuBaPo (Ouvroir de bande dessinée potentielle, courant inspiré de l’OuLiPo, l’Ouvroir de littérature potentielle), Shintarō Kago fait partie de ces irréductibles aventuriers de l’étrange qui s’acharnent à écrire sans céder à la concession. Après 34 années de création sans se trahir, il incarne en quelque sorte ce que Marc-Antoine Mathieu est à la BD franco-belge et ce que Jason Shiga est au comics, la subversion en plus. Expérimentateur de l’impossible, il exploite le médium en dehors des chemins balisés, en repousse perpétuellement les potentialités narratives et graphiques au point qu’il pourrait prétendre à être un cas d’étude sémiologique pour les spécialistes du médium comme Scott McCloud.
Artiste complet, indépendant, unique en son genre, prolifique et constamment novateur, il ne cesse de surprendre. Trop particulier, trop radical, trop différent, il est difficile de vivre de la BD sur le sol japonais quand on s’appelle Shintarō Kago. Heureusement, son approche et sa vision le mènent à être l’un des rares mangakas à être plus plébiscité à l’étranger que dans son propre pays. L’occident est friand de son originalité, de sa folie, de son dessin réaliste et minutieux, pas étonnant qu’il publie depuis des années une partie de sa production directement en Italie et qu’il ait remporté le Prix Asie de la Critique ACBD 2022 pour La Princesse du château sans fin.
Touche-à-tout, il crée ses propres produits dérivés, des courts-métrages, a élaboré une collection de NFT, est en train de travailler sur un anime… et est reconnu mondialement pour son travail d’illustrateur. Ses dessins comme ses mangas abondent d’expérimentations en tous genres et chaque thème est matière à l’exploitation d’une idée jusqu’à la moelle. Docteur Frankenstein du manga, Shintarō Kago aime les textes (Fraction) et les corps (Carnets de massacre). Il les manipule, les dissèque et les assemble à outrance. Formaliste adepte de l’ero guro nansensu (mouvement érotico-grotesque nonsensique, genre dont Suehiro Maruo est le plus digne représentant en matière de bande dessinée), ses œuvres portent la satire à son paroxysme, dépassant même fréquemment l’entendement pour atteindre l’absurde. Parfois tout en couleur ou totalement muets, ses mangas sont gorgés d’un humour noir inimitable, provoquent, brisent le 4e mur, déploient d’ingénieuses facultés narratives et des mises en page plus audacieuses les unes que les autres.
Dans Dementia, il se soucie d’une problématique plus que jamais d’actualité au Japon et à travers le monde : comment accompagner les personnes en fin de vie ? Le sujet, complexe, est traité à de multiples niveaux, et lui permet de s’attaquer à la réalité des comportements bassement humains, avant d’aller dans des directions beaucoup plus inattendues. Amoureux des Monty Python, raisonnant par l’absurde, adepte du divertissement savant et du surréalisme, il lui suffit très exactement de 10 pages pour dérailler et déclencher son excentricité. Sachant que son point de départ ne laisse en aucun cas préjuger de sa destination finale, il ne faudra pas s’étonner de croiser dans ses pages des extraterrestres ou le père Noël, d’aborder le voyage spatio-temporel et tant d’autres possibilités funambulesques !
© Shintaro Kago / 2018 Fantagraphics Books – Traduction : Baptiste Neveux
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