Des vivants
1940, la France est défaite par l’Allemagne, les nazis occupent Paris. Dans les allées et sous-sol du Musée de l’Homme, ouvert récemment place du Trocadéro, un mot se propage sur les lèvres du directeur et de son entourage : résistance. Un réseau va rapidement se mettre en place à partir de cet établissement et de ses responsables, pour diffuser des informations clandestines ou exfiltrer des prisonniers. Au péril de leur vie.
Louise Moaty, poète et metteure en scène, et Raphaël Meltz, écrivain, se sont penchés sur l’histoire du réseau du Musée de l’Homme, un des premiers à se mettre en place en France, dès l’été 1940, et sur ses principaux animateurs. Mais, outre ce choix déjà intéressant par son originalité, ils ont décidé, en gens de lettres audacieux, de ne se servir que de sources vérifiées et de paroles prononcées pour construire leur histoire (sources et explications détaillées figurent en fin d’ouvrage). Point de narrateur omniscient, de voix off héroïque, de dialogues de cinéma… Tout ce qui se lit ici a été dit ou écrit quelque part, et même les dialogues ont été recomposés à partir de mots existants. Dès lors, c’est un rythme étrange et une bande-son curieuse qui innervent ce long album : dans un Paris sous couvre-feu, dans une campagne du Nord en guerre, ce sont des séquences sans bruit qui s’enchaînent, seulement animées par des lettres écrites, des échanges concis, des monologues engagés.
Heureusement, cette dimension théâtrale trouve un beau contrepied avec l’apport graphique de Simon Roussin (Prisonnier des glaces, Xibalba, Robin Hood, Lemon Jefferson…). Sa ligne claire répond à la sobriété du dispositif, mais son découpage donne le mouvement, et ses choix de couleurs tranchées (violet, vert, orangé) et de matière (aplats, coups de feutre, peinture vibrante) apportent l’émotion. Jusqu’à ces bouleversantes pages de l’emprisonnement et de la torture mentale, entièrement noires.
Ensemble, les trois auteurs construisent une bande dessinée inédite dans son concept, autour d’un thème pourtant mille fois mis en scène. Un objet à la fois très littéraire et très graphique, empreint d’une profonde réflexion sur le sens de l’engagement et d’un mot qui a été tant galvaudé et détourné, celui de « résistance ». Avec en prime, et ce n’est pas un détail car on le sent dès le titre, un chant d’amour pour la vie, synonyme de liberté et d’espérance, seule et dernière raison de se lever contre la barbarie et la négation de l’être humain.
Publiez un commentaire