Déserteur
Kars, entre la Turquie et l’Arménie, dans les années 1960-70. Une zone comme hors de la géographie et du temps, dont les habitants ne savent plus vraiment à qui elle appartient, comme si elle était sans cesse traversée par une frontière mouvante, une ligne de front silencieuse qui ne dit pas son nom. Hantée par les conscrits turcs qui dissimulent leur visage sous des masques fantomatiques. Hantée aussi par le souvenir, qu’on préfère étouffer, du génocide arménien de 1915. S’inspirant de la vie de son père, l’auteur y dissèque l’explosion d’une famille, ployant sous les coups de la politique, de l’armée, de l’Histoire aveuglée, de la spirale dépressive des générations qui ont survécu au génocide et qui n’ont jamais obtenu reconnaissance ni réparation.
Déserteur est le premier tome d’une trilogie qu’Halfdan Pisket, né au Danemark, consacre à ses origines familiales. C’est un livre violent et âpre, qui ne se laisse que difficilement apprivoiser. Avec son noir et blanc expressionniste, comme celui d’un José Munoz mais bien plus flottant, l’auteur alterne images fortes et planches hermétiques, répondant ainsi à une construction en flashback pas toujours très lisible. Le texte lui, même s’il lorgne vers la poésie, est davantage neutre et informatif, permettant de raccrocher les wagons sans nuire à l’émotion. La lecture de Déserteur est donc assez éprouvante: d’une part, l’histoire est terrible, poignante; d’autre part, la narration manque de fluidité, et peut-être d’un éclairage historique plus précis, permettant d’ancrer ce qui ressemble à un cauchemar sans fin dans une réalité plus tangible. Malgré ces lourdeurs narratives, ce premier volume demeure d’une grande originalité et d’une puissance assez impressionnante, qui en font une des découvertes importantes de 2017.
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