Didier Tronchet se voit en « Fils du yéti »
Il a osé tomber le masque de l’humour, glisser doucement vers la nostalgie et l’introspection. Dans Le Fils du yéti, Didier Tronchet raconte un pan de son histoire personnelle : celle d’un homme adulte qui, à la « faveur » d’un incendie, s’interroge sur sa famille, puis retrouve une lettre de son père, mort quand il était enfant. Sans tout à fait se départir de l’ironie qui lui est coutumière, l’auteur de Jean-Claude Tergal et Raymond Calbuth fait ici montre d’une jolie subtilité, saupoudrée de tendresse.
D’où est venu ce Fils du yéti ?
Il s’agit d’abord d’un roman, sorti il y a deux ans. J’espérais que les médias en parleraient davantage. Mais il faut croire que je suis affublé de l’étiquette indécollable d’auteur de BD, comme si on ne pouvait pas faire correctement des choses différentes… Mon premier métier est tout de même d’écrire, puisque j’étais journaliste. J’ai fait de la bande dessinée par défaut, et je suis revenu ensuite à mes premières amours, l’écriture. J’ai reçu un coup sur la tête en réalisant qu’on ne pouvait survivre en littérature à moins de publier un best-seller. Ce fut une grosse déception. Je n’avais au départ pas l’intention de revenir sur Le Fils du yéti sous une autre forme. Mais, en le considérant avec l’oeil du dessinateur, j’ai senti que l’ellipse pouvait m’aider à éviter le pathos. La BD m’a permis un traitement plus distancié, qui évitait de rendre le lecteur otage de l’émotion – les histoires de paternité, ça va bien, hein… ! J’ai ainsi découvert ce que je voulais vraiment raconter : l’histoire d’une lettre perdue, qui n’occupe que trois pages tardives dans le livre. Celle qu’un père sur le point de mourir laisse à son petit garçon, qui ne la lira que des décennies plus tard.
Qui est votre héros ?
Il est pataud, sa physionomie le dit. C’est une sorte de Jean-Claude Tergal qui aurait muté, qui n’a plus à faire l’imbécile pour plaire aux filles, et ne doit plus se cacher derrière sa doudoune. Le déclencheur du récit est l’incendie de son appartement – chose qui m’est arrivée il y a vingt ans. Oui, j’ai vécu tous les événements ici relatés : ça ne m’intéresse pas d’inventer, la sincérité nécessaire à une oeuvre d’art ne peut s’arranger de la fabrication d’une histoire. Pour que l’écriture se nourrisse d’une flamme, il faut qu’il y ait eu un profond ressenti intime. Ça doit être vécu comme quelque chose d’essentiel, la réalisation d’un livre. Ça doit vous dévorer, ne pas être un petit feu tiède.
Quand votre immeuble a pris feu, vous vous êtes donc demandé quoi emporter, comme votre principal protagoniste…
Oui. J’ai glissé dans un sac de sport mes albums photo. Ça m’a interrogé sur cette manière aberrante que nous avons tous de coller des clichés sur des pages… J’ai d’abord eu envie d’écrire une série d’histoires courtes. Mais, chez Flammarion, on m’a dit que les nouvelles ne se vendaient pas. Alors j’ai tenté de rassembler mes idées, en excluant certaines, et de tirer un même fil narratif.
Pourquoi vous centrer sur une photo particulière de votre père, où son attitude se relâche ?
Il est soudainement surpris dans son état de malade – qu’il gardait secret –, quelques mois avant sa mort. Ce n’est plus l’homme droit et fort qu’il se plaît à jouer habituellement. Dans cet intérieur du Nord, pauvre mais soigné, il est attendrissant. Tel que je l’ai dessiné, ce n’est pas lui, mais un autre personnage, caricaturé. Je ne pense pas que les gens de ma famille le reconnaîtraient…
Le titre de l’album et une partie de son contenu font référence à l’oeuvre d’Hergé.
Petit, je volais les Tintin d’un camarade de classe plus riche, qui s’en foutait. Ces albums recouverts de papier – comme les livres d’école, pour les protéger – me semblaient très mystérieux : je ne voyais pas leur couverture. Tintin était pour moi une invraisemblable porte ouverte sur un monde fascinant, drôle et effrayant. J’ai établi un parallèle entre mon héros et moi-même, restés sans père, et le yéti dans Tintin au Tibet, qui voit Tchang, qu’il a protégé, partir sans lui… Cet épisode et Le Lotus bleu sont ceux qui m’ont le plus marqué.
Comment avez-vous travaillé sur cet album ?
C’était une course de fond, il ne fallait pas que je m’arrête tous les cinquante mètres, je risquais de ne pas repartir… Je n’ai pas focalisé mon attention sur le dessin, mais sur l’énergie. Etais-je suffisamment habité ? Forçais-je la machine ? J’ai choisi le noir et blanc en fonction de la collection « Ecritures » de Casterman [qui ne comporte que des ouvrages en noir et blanc], dont j’aime la dimension littéraire et où je souhaitais que Le Fils du yéti soit publié. Et puis ce choix graphique sert bien le récit : ça appuie son côté nostalgique, et rappelle un vieux film en super 8… Avant de m’adresser à l’éditeur, j’ai réalisé 200 pages tout seul. Je ne voulais pas qu’on s’immisce dans mon histoire. Le temps de sa fabrication, il me fallait conserver une naïveté, une fraîcheur.
Quels sont vos projets ?
Je vais publier en septembre chez Futuropolis Vertiges de Quito, qui reprendra trois reportages réalisés pour la revue XXI en Amérique du Sud – où j’ai vécu avec ma femme et mon fils de 2008 à 2011. Et puis j’aimerais adapter en BD un roman français autour de l’Amérique du Sud, aussi. Je ne peux en dire plus pour le moment, mais ce sera onirique, baigné de surnaturel. Pour le moment, je n’ai pas envie de retourner à Jean-Claude Tergal. Ce n’est pas malin en termes de carrière, puisque des lecteurs attendent la suite. Mais il faut savoir se départir de ses comportements anciens, afin qu’ils ne deviennent pas des boulets…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Le Fils du yéti
Par Didier Tronchet.
Casterman, 16€, le 12 mars 2014.
Images © Casterman.
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