DIE #1
Au départ, il y a une interrogation saugrenue de Kieron Gillen (The Wicked + The Divine) : qu’est-il arrivé aux jeunes héros du dessin animé 80’s Donjons & Dragons, toujours coincés à la fin de la série, dans un monde médiéval-fantastique ? Ben oui, bonne question à laquelle le scénariste tâche d’apporter une réponse dans la série DIE en mettant en scène un groupe de Britanniques. En 1991, alors ados, ils se retrouvèrent propulsés dans l’univers du jeu de rôles auquel ils participaient, nommé « Aléa ». Portés disparus, cinq d’entre eux refirent surface deux ans plus tard, traumatisés, sans nouvelles du sixième membre, Sol. En 2018, les rescapés, des quadragénaires qui ont tant bien que mal essayé de se reconstruire, se trouvent ramenés à Aléa dans la peau de leur avatar.
Leurs avatars justement témoignent de la profondeur du monde qu’a mis sur pied Gillen avec la complicité au dessin de la française Stéphanie Hans. Eux-mêmes rôlistes, les deux co-créateurs ont doté chacun de leurs héros d’un style et d’aptitudes qui font écho à leur personnalité IRL. Chuck par exemple, le rigolo de la bande devenu écrivain à succès, livre bataille comme il évolue dans la vraie vie : la fleur au fusil, en fonçant dans le tas. Matt, le dépressif, devient un combattant redoutable maniant l’épée comme personne s’il est triste. Les amateurs de JdR reconnaîtront-là des variations bien senties sur les grands archétypes issus de Donjons & Dragons, le jeu matriciel de Gary Gigax, tels que le barde ou le paladin. Et Stéphanie Hans a cousu sur mesure des costumes flamboyants à Ash, la Dictatrice en robe fourreau, ou à Angela, la hackeuse casquée. Ici, les imaginaires visités le sont librement, mixés pour ne pas se cantonner à la seule heroic fantasy, via donc quelques touches de cyberpunk, ou bien une ambiance tranchées de la Première Guerre mondiale. Dépaysant, mais jamais joyeux. Avec sa palette chromatique très dark et ses personnages mélancoliques dans la lignée du Ça de Stephen King, renvoyées en pleine crise de milieu de vie à leur traumatisme d’enfant, DIE flirte parfois avec le tropisme morbide qu’on reprocha tant au jeu de rôle dans les années 80.
Une tonalité un peu déstabilisante qui contredit le postulat ludique de la série. Il n’y est question que de jouer et pourtant on ne s’amuse pas assez dans ce premier volume de DIE. Sans nécessairement réclamer les aventures échevelées du Jumanji original et encore moins l’humour potache de ses reboots récents, on n’aurait pas craché sur un peu de la légèreté pop qui fait tout le charme de The Wicked + The Divine. Comme si le maître du jeu avait ici passé beaucoup de temps à réfléchir aux mécaniques et pas assez aux joueurs, en se faisant plaisir avant de penser à rendre l’aventure distrayante. Gillen a d’ailleurs vraiment édité des règles pour permettre à un MJ aventureux de planifier des parties dans l’univers de la BD et passé un temps dingue comme il le dit lui-même à huiler chaque rouage de cette machinerie jusqu’à détailler la manière dont chaque personnage renvoie à un type de dé. Cela se sent, c’est passionnant de le lire détailler ainsi son processus créatif en annexes, mais sa ferveur ne se traduit pas suffisamment dans l’aventure proposée à ses propres personnages, tout occupés à ressasser leurs erreurs du passé et à régler leurs problèmes de la vie réelle.
Ce qu’on ne peut qu’imaginer, c’est que posées là les bases de sa campagne, Gillen retrouvera par la suite un peu plus de la finesse qu’on lui connaît et dont il fait preuve, par exemple, ici, pour aborder les questions de l’identité et de la dualité monde réel/univers persistant. Car le jeu de rôles, et cela, les deux auteurs le restituent parfaitement, puise comme son nom l’indique sa force dans la promesse d’incarnation. À ce titre, c’est Ash, boussole émotionnelle de la série, qui se réalise le plus intensément une fois à Alea. C’est quand la partie commence, et là seulement, que Dominic, frère d’Angela à la personnalité effacée dans la vraie vie, s’épanouit littéralement en leader charismatique du groupe, muée en une blonde vénéneuse que rien n’arrête. Le sixième de la bande, Sol, n’est lui jamais revenu du jeu, pas même en 1993, car c’est là qu’il s’y accomplit en divinité toute puissante tirant toutes les ficelles, parfaite allégorie de nos contemporains se réfugiant volontairement dans une existence virtuelle jugée plus gratifiante que celle proposée dans le monde réel.
On le comprend pour au moins une raison : c’est à Aléa que se déploie de manière la plus spectaculaire la maîtrise graphique de Stéphanie Hans. Cette cover artist prisée de l’industrie des comics US, Marvel en tête, n’avait jusqu’ici jamais dessiné une série régulière. Franchement, on ne le dirait pas. Elle ne donne jamais l’impression de manquer de souffle pour tenir le rythme de ce marathon, découpant parfaitement ses pages pour y ménager ce qu’il faut de grandes cases les mieux à même de laisser parler son style épique et chatoyant à dominante rouge (sa marque de fabrique). Une raison de plus de donner sa chance à cette série au premier tome un peu chaotique mais aux promesses bien réelles. On lance deux d20 et on avise ?
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