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DMPP: un 9e numéro d’une grande richesse

29 juillet 2013 |

Depuis que le (déjà soigné) fanzine Dame Pipi Comix a été repris par les éditions The Hoochie Coochie et est devenu la massive revue DMPP, la formule continue de confirmer sa qualité sans se reposer sur les lauriers du Prix de la BD alternative, obtenu au festival d’Angoulême 2009.

dmpp9_couvDepuis, chaque année offre son numéro, et avec lui la confirmation d’une recette très rare dans le panorama actuel. Si DMPP publie des bandes dessinées variées, c’est avant tout son goût pour l’histoire et la théorie qui lui fait tirer son épingle du jeu. En effet, il n’existe aucune autre revue prête à se pencher régulièrement sur ce passé récent à défricher. Pourtant, à l’origine du fanzinat (comme la rappelle très bien Franquin et les fanzines) il y a cette volonté d’étude, passionnante et nécessaire, aujourd’hui souvent abandonnée pour laisser place aux « catalogues d’auteurs »…

DMPP consacre donc dans chaque numéro un gros dossier, sous une forme à chaque fois différente et adaptée : de l’interview à la longue étude détaillée, en passant par l’hommage dessiné, la publication de récits inédits, ou même tout ça à la fois. Dans ce neuvième numéro, après s’être intéressés à la préhistoire de l’OuBaPo (Gustave Verbek, n°5, 2008), à la poésie absurde (Charlie Schlingo, n°6, 2010), à un des plus étonnant auteurs contemporains (Matti Hagelberg, n°7, 2011) ou à la représentation du sexe chez deux maîtres italiens (Jacovitti et Mattioli, n°8, 2012), nous pourrons découvrir pour la première fois une personnalité extérieure à la bande dessinée, bien que les confluences soient évidentes : Lev Youdine.

dmpp9_image1Gérald Auclin, directeur de publication de DMPP, féru de collages et d’écrivains russes, lève le voile sur l’une de ses inspirations en nous présentant donc Lev Youdine, peintre et illustrateur russe du début du XXe siècle (1903-1941). Cet élève de Kasimir Malevitch fut adepte du suprématisme avant de se libérer de l’influence de son maître et de s’émanciper dans le cubisme lors de ses années étudiantes. Auteur de nombreux livres jeunesse, il brille dans ce genre où son art du papier découpé et de l’ombre chinoise forme des propositions radicales et particulièrement originales. Composé d’un long et érudit article autant biographique qu’analytique, le dossier comporte en outre un bibliographie très complète et – surtout – un superbe cahier couleur, une première dans DMPP, permettant de prendre la pleine mesure de ce talent méconnu. De ses couvertures stylisées très expressives à ses bandes dessinées (malheureusement non traduites pour des raisons de droits), on en prend plein la vue et attendons donc logiquement une nécessaire, quoique peu probable, anthologie.

Autour de ce dossier, de nombreuses bandes dessinées, notamment des récits au long cours : Freddy « Opa » par Martes Bathori, Dur-à-cuire par Gérald Auclin, Panpan et ses amis d’Olivier Philipponneau et Juliette en juillet par Joko. Soit quatre travaux totalement différents entre l’univers punkoide de Batori, les fantasies SM de Joko ou la froideur apparente d’Auclin, mais tous riches et intrigants. On regrettera juste que ces séries soient « à suivre ». C’est certes sans doute nécessaire pour permettre aux auteurs de s’exprimer avec l’ampleur qu’ils souhaitent, mais dans le cas d’une revue annuelle ce mode de participation apparaît plutôt inadapté. L’importance laissée à ces récits risque de mettre de côté le lecteur qui voudrait se laisser tenter par un numéro sans acheter tout depuis le début…

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Il lui restera cependant de nombreuses bandes courtes, là encore très variées. On saluera les fascinants dialogues de Caporal & Commandant par J&E Leglatin, Moustache par Boris Hurtel, et Entre femmes de Viktoria Lomasko. Cette dernière navigue entre la bande dessinée, le journalisme et le récit illustré dans une forme assez anachronique et réussit pourtant à éveiller l’intérêt par les étonnants reportages qu’elle mène depuis plusieurs numéros sur la société russe contemporaine, créant ainsi un dialogue inattendu avec le dossier du numéro.

dmpp_image4Saluons enfin deux choses totalement propres à DMPP. D’abord le gadget/jeu à monter soi-même de Bastien Contraire, délicieux détournement de ce qui constituait l’âme des Spirou et Pif des années 60/70. Ensuite, L’Oeil des deux abbés, longue et passionnante section critique signée Alexandre Balcaen et Arsenic Brasilia, brassant la production de l’année à la seule aune de la qualité et sans distinction entre l’obscur fanzine et la grosse production américaine pour peu que ce soit intéressant, une expression critique libre qui manque souvent, particulièrement dans la presse papier.

Avec ce numéro neuf, toujours plus cohérent et solide dans ses propositions, DMPP confirme sa place à part dans le paysage éditorial. Rigoureux, explosif et assumant son rythme à contre-courant des modes et de l’immédiateté, DMPP s’affirme à chaque numéro comme plus que jamais nécessaire. Dans un entretien publié sur Du9, Gérald Auclin disait vouloir parler d’autres « auteurs dont [il se] sens proche et sur qui rien ou presque n’a été écrit » comme Anna Sommer ou Harvey Pekar. C’est bien tout le mal qu’on puisse lui souhaiter.

Vidéo et extraits sur : http://vimeo.com/60780644

DMPP #9.
The Hoochie Coochie, 18 €.

Commentaires

  1. Maël Rannou

    Afin de ne pas alourdir l’article je ne l’ai pas précisé, mais si DMPP est bien la seule revue qui parle de manière conséquente d’histoire de la BD (au sens facilement accessible car diffusée en librairie) il faut quand même citer trois fanzines qui s’inscrivent également dans cette tradition :

    – « Papiers nickelés », fanzine luxueux (tout en couleur !) dirigé par Frémion qui met un point d’honneur à défricher l’histoire de la BD mais aussi du dessin, de la gravure, etc. C’est toujours passionnant, une sorte de « Tarte à la crème à la récrèm » géant ou Frémion et ses collaborateurs vont chercher toujours plus loin les auteurs les plus méconnus et incontestablement brillants (et aussi quelques gloires tout de même, Frémion un des plus gros carnet d’adresse de la BD, autant que ça serve). http://papiersnickeles.fr/

    – « Hop ! », incroyable institution du fanzinat, créé en 1973, et qui continue à publier un numéro trimestriel. Très ancré dans la « culture populaire », « Hop ! » mais notamment en avant un grand nombre d’artisan discret de la bande dessinée qui resteraient sinon quasi-inconnus du grand public… A noter, « Hop ! » a reçu le fameux prix de la BD Alternative (alors prix fanzine) en 1992 http://dumonteil.marc-andre.perso.sfr.fr/hop.htm

    – Enfin « Gorgonzola », mon fanzine, qui est sur le même principe que DMPP : un gros dossier sur un sujet (la BD Argentine, la revue Viper, Jean-Claude Poirier…) et de la BD alternative autours. L’intérêt (revendiqué comme tel en tout cas) est dans le dialogue entre des études historiques et entretiens avec des bds contemporaines : http://legouttoir.free.fr

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