Docteur Uriel
Pablo Uriel est un jeune diplômé de l’université de médecine de Saragosse. Plein d’espoir et d’entrain, il effectue son premier remplacement dans la campagne espagnole et goûte aux joies de sa nouvelle vie professionnelle et champêtre. Mais cet été-là, au Maroc, se joue une autre histoire: le soulèvement nationaliste – le coup d’État du général Franco – éclate. En juillet 1936, la bourgade de La Rioja, dans laquelle exerce Pablo, est assaillie par une unité franquiste. S’en suit alors pour Pablo Uriel un parcours des plus atypique : d’abord fait prisonnier par l’armée nationaliste, il est contraint de s’enrôler du côté franquiste, et soigne les plus ardents défenseurs du Caudillo, les phalangistes, durant le siège de la ville de Belchite. Une fois aux mains des Républicains, Pablo est de nouveau fait prisonnier, et tente de redonner de l’humanité à travers les soins et l’hygiène à des hommes « ensauvagés » par trois ans de guerre. Condamné consécutivement par les deux camps, Pablo doit sa survie non seulement à la chance, mais aussi à son humanité qu’il érige comme seule idéologie.
Vincent Llobel Bisbal, dit Sento, rend un hommage vibrant à son beau-père, Pablo Uriel. L’auteur, caricaturiste dans de nombreux journaux espagnols, s’est consacré à narrer de manière minutieuse, les souvenirs et les étapes des pérégrinations d’Uriel durant la guerre civile espagnole. Le point de vue original d’un « malgré nous » espagnol, qui place les valeurs d’humanisme et de paix avant les prises de positions partisanes. Voilà qui dénote dans les publications habituelles, fort nombreuses de nos jours, qui tentent de réhabiliter la mémoire républicaine, injustement mise de côté par presque 40 ans de règne franquiste. Car si on sent bien que Pablo Uriel n’a rien à voir avec les franquistes, il n’est pas non plus un républicain ardent – son « encartement » à gauche lors de ses années d’étudiant semblent presque une erreur. Et c’est bien là l’intérêt de cette narration : présenter le parcours d’un homme ordinaire bien que courageux et plaçant la vie humaine au dessus de tout. Le trait simple, clair et caricatural, presque enfantin bien que parfaitement sûr, fait glisser les 432 pages d’une traite.
Publié en Espagne en plusieurs volets – Sento a reçu le prix international du roman graphique FNAC-Sins Entido en 2013 –, Docteur Uriel impose une histoire forte à l’heure où les enjeux de la mémoire de la guerre d’Espagne (comme le vote au Parlement de l’exhumation du corps de Franco du Valle de los Caidos) sont toujours aussi vifs dans la société. S’il ne peut résoudre panser les plaies d’une mémoire républicaine longtemps méprisée, il a le mérite et l’ambition assumée de réhabiliter un héros ordinaire dont l’éthique force, en partie, l’admiration, posant une fois de plus cette question obsédante de l’Histoire : et nous, qu’aurions-nous fait à la place d’Uriel ?
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