Docteur Vertigo
Qu’arrive-t-il à Alicia ? Enfermée et isolée dans son petit appartement, cette jeune mariée de 34 ans passe ses journées à angoisser. Une voix, sortie de sa photo de mariage, lui lance des invectives moralisantes : « Tu es mauvaise, Aliciaaaaaaa… » Puis la photo se transforme en écran de télévision. Elle lui montre son mari, Luciano, allongée sur le ventre de sa maîtresse… Ce qui expliquerait ses nombreuses absences malgré une attitude toujours bienveillante. Minée par ce quotidien, Alicia décide de consulter le professeur Trauman, éminent psychologue. Pour le meilleur et, surtout, le pire.
Après la récente et excellente anthologie Anacorma (Misma), c’est au tour de Cornélius d’exhumer une pépite espagnole oubliée. Publié lui aussi en feuilletons dans la revue d’avant-garde El Vibora en 1989, Docteur Vertigo capte ce moment instable des années 80, celui d’une Espagne coincée entre deux époques. Les cendres du franquisme encore fumantes se dissipent sous l’effet de la Movida alors que la démocratie espagnole s’installe à pas d’escargot dans un pays marqué par plus de 30 ans de franquisme et de conservatisme. C’est donc dans ce contexte de pesanteurs sociales qu’évolue Alicia, symbole de l’émancipation de l’Espagne post-franquiste. Isolée et assignée à son rôle de femme au foyer, Alicia est rongée par une morale catholique culpabilisante, toujours mise en scène avec humour dans la BD. Les premières pages, d’une drôlerie sans pareille, campent ainsi le schéma traditionaliste. Avant l’arrivée de Trauman, l’élément déclencheur qui, à travers ses expériences, va éveiller les consciences. Féministe, provocateur – la psychologie reste très mal vue à l’époque –, Marti emprunte une imagerie du fantasme ou de l’inconscient et met en scène des cauchemars, des souffrances, ceux d’une génération sans repères qui a tout à inventer. Doublement soumise, Alicia voit sa santé mentale vaciller et s’altérer avant la libération. On n’en dira guère plus mais on retiendra les trouvailles de composition: gaufrier démultiplié pour saisir l’univers émotionnel de l’héroïne, contrastant avec des pleines-pages fascinantes, et un noir et blanc entêtant, pas loin de Charles Burns. Le ton second degré glissant de l’humour au pamphlet en un seul élan. Encore une belle trouvaille qui n’a rien perdu de sa force évocatrice.
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