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Dominique Véret, confessions d’un éditeur de mangas (2/2): « Profondeur et combativité »

30 mai 2012 |

Suite de notre entretien fleuve avec Dominique Véret, fondateur d’Akata. Après nous avoir détaillé les difficultés du métier déditeur aujourd’hui, il revient sur les dix ans de sa maison et ses perspectives d’évolution.

veret_nanaAkata fête ses 10 ans, quel bilan tirez-vous de cette décennie ?
Tout comme pour Tonkam à l’époque, nous restons militants du manga et d’une conception culturelle du livre. Il faut toujours avoir à l’esprit que l’Asie va devenir tellement importante sur le plan économique, qu’il est primordial de savoir comment elle fonctionne, pense et agit, car des changements culturels et éducatifs vont en découler. Le manga est utile en ce sens. Akata s’inscrit donc dans cette logique d’amener le lecteur à réfléchir par un loisir utile. Depuis le début de notre collaboration avec les éditions Delcourt, nous avons eu l’opportunité de proposer rapidement des œuvres fortes et de bâtir un catalogue fait de passion et de beaucoup de personnalité sans nous trahir. Le bilan est globalement positif, même si c’est de plus en plus compliqué de publier tous les titres que l’on souhaiterait et de les mettre efficacement en avant. Je suis quand même très optimiste pour l’avenir, la société est en train de bouger, dans le sens d’une certaine profondeur et d’une certaine combativité face au superficiel.

Votre particularité est que vous êtes prestataire de service pour les éditions Delcourt. Qu’est-ce que cela signifie ?
Akata gère une collection de mangas pour un éditeur de bandes dessinées avec un statut qui n’est pas courant, puisque nous sommes une entreprise indépendante. Cependant, nous ne sommes pas les seuls décideurs des choix éditoriaux. Nos objectifs ne sont pas toujours identiques et cela a parfois créé des tensions. Mais nos relations sont saines et professionnelles. Comme il y a une très grosse compétition pour les licences les plus porteuses et que Guy Delcourt se fixe des limites, nous n’avons pas d’énorme bestseller dans notre catalogue. Concrètement, nous présentons régulièrement des titres à Guy Delcourt et c’est lui qui décide de leur acquisition ou non. À nous de savoir le convaincre quand un manga nous semble indispensable.

veret_kiitchiCe n’est pas pour autant que vous arrêtez de publier des titres forts et risqués. 2012 semble marquer le retour du seinen coup de poing avec la suite Ki-itchi et de Coq de combat
Nous avons toujours en tête de revenir vers des titres surprenants, osés et couillus : de bons gros seinen qui frappent fort. Nous profitons de nos dix ans de collaboration avec Delcourt pour inviter à redécouvrir notre catalogue, avec l’arrière-pensée de rebondir ensuite sur tout cela. Ki-itchi et Coq de Combat sont des séries très importantes car elles expriment de vraies problématiques de vie, reflètent la société actuelle et invitent à plus d’humanité. Les lecteurs, mais aussi les éditeurs et les journalistes doivent comprendre que le seinen ne se limite pas qu’à Jirô Taniguchi et Naoki Urasawa ! Pour moi, ce sont de très bons professionnels qui connaissent toutes les ficelles de leur métier et savent répondre à une attente du public. Mais quoi qu’on en dise, Taniguchi c’est gentillet, c’est de la bande dessinée pour petits bourgeois !

Il faut aller vraiment plus loin que le simple divertissement en BD. Le plus important c’est de faire grandir le lecteur, de lui faire découvrir sa force sans lui faire la morale. Aujourd’hui, la plupart des titres publiés sont des mangas de masse qui ne font que refléter une société urbaine stressante, dévouée à la consommation et aux démons qui tournent autour de ça. C’est dommage, car des titres forts et sensibles comme Simple comme l’amour, A fleur de peau ou Le Pacte des Yôkai peinent à atteindre les 1000 exemplaires par volume… Quand on regarde en arrière, on remarque que la qualité générale des shônen et shôjo a baissé. Par exemple, prenez La Colline aux coquelicots (le dernier dessin animé de Gorô Miyazaki – ndlr), c’est l’adaptation d’un shôjo du tout début des années 80. C’est autrement plus profond que beaucoup de titres pour les filles publiés actuellement !

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Vous sortez votre premier titre issu du Shônen Jump. Ce magazine n’est semble-t-il pas celui qui reflète le plus votre ligne éditoriale…
C’est un choix d’une époque où l’on a beaucoup moins le choix. Certes, Hadès est une série issue de ce magazine, mais surtout, elle interpelle les ados et invite à réfléchir. Nous souhaitons nous faire une place de choix dans le shônen et nous prévoyons d’en sortir régulièrement sans trahir notre politique éditoriale globale. veret_hadesEt sans un titre de Shônen Jump, c’est impossible, nous ne serions pas crédibles. Ce qui nous intéresse, c’est de sortir des standards. Par exemple, avec Shinjuku Fever, on revient au quotidien, sans super-héros ou super-pouvoirs. Il y a plein de shônen qui n’ont rien à voir avec ce qui se vend en masse en France.

Après avoir défriché le shôjo, le yaoï et le seinen, vous êtes l’un des seuls à essayer de présenter du josei, des titres pour femmes adultes. Trouvent-ils leur public ?
Clairement, non. Le josei aurait gagné à être promu avec plus de discernement. Pour notre part, nous avions commencé par publier quelques auteures de shôjo, Mari Okazaki entre autres, s’adressant à des filles plus matures pour nous tourner doucement vers le josei… Malheureusement, certains ont cru voir un bon filon… Il y a donc eu une inondation josei avec du meilleur et du pire. On se retrouve maintenant avec un genre mal compris. Mais les journalistes ont aussi joué un mauvais rôle dans cette histoire. D’un côté, ceux branchés franco-belge, pour qui dès qu’une nana fait de la BD, c’est pour se libérer et publier un truc de bobo; de l’autre, ceux de la presse manga qui n’avaient pas la maturité et la culture pour pouvoir parler avec force et conviction de ces titres. Malheureusement ceux qui traitent du manga sont souvent des pigistes qui n’ont ni le temps, ni l’argent pour aller au Japon et découvrir que des choses comme le josei renvoient à un monde féminin moins stéréotypé qu’en France.

veret_okazakiSoyons clair, les magazines et les sites spécialisés dans le manga sont obligés de toujours mettre en avant les mêmes choses. Et c’est drôle car ce sont les fans de la première heure, qui en devenant journalistes, ont délimité leur enfer : comme ils ne connaissaient que la culture marketing, ils ont eux-mêmes construit une attente du public dont ils ne peuvent plus s’échapper. Si le seinen peine déjà à se démarquer et n’est finalement pas très bien chroniqué par les journalistes (alors qu’il a tout pour séduire les lecteurs de BD franco-belge), le josei n’a pas su être valorisé. Il faut aussi dire qu’on manque de filles critiques de manga, qui soient pertinentes et ouvertes d’esprit. Pour finir, la presse féminine est trop futile pour soutenir le josei. Par exemple, les œuvres de Kaori Onozuka font peur par son propos lucide et limite sur la sexualité.

Il est important que les journalistes prennent conscience du rôle qu’ils ont à jouer. C’est à eux de mouiller la chemise et de prendre des risques pour mettre plus en avant la diversité et la qualité face au mainstream qui remplit les caddies. Bien sur, tout comme les libraires, les journalistes n’ont plus le temps de lire et de trouver facilement les bonnes BD. La surproduction nous amène à ce cercle vicieux.

Quel bilan pour votre collection de titres plus anciens ?
Les classiques du manga s’adressent à un petit nombre de lecteurs qui sont toujours les mêmes. Ce sont aussi des œuvres qui trouvent leur place dans les bibliothèques. Nous n’en publions plus beaucoup car le lectorat ne suit pas, même si de nombreux titres du patrimoine japonais mériteraient d’être édités en France. Au début, nous avions commencé par Osamu Tezuka. Mais petit à petit, tout le monde s’y est mis… Nous n’avons pas un catalogue aussi rentable que Glénat ou Kana pour nous permettre de nous lancer dans des titres qui seront potentiellement des gouffres financiers. Et puis, il faut être franc, il y a des titres classiques qui sont traduits et adaptés sans grand raffinement. Cela fait plaisir aux Japonais et c’est bon pour l’image, mais ce n’est pas assez sérieux.

veret_eveilDepuis deux ans, vous jouez les intermédiaires pour Vertige Graphic (L’Éveil) et nobi nobi ! (Tamago). Pourquoi ?
Kazuhiko Miyaya, l’auteur de L’Éveil, a une importance majeure au Japon et c’est pour cela qu’il nous tenait à cœur de pouvoir éditer au moins une de ses œuvres. Guy Delcourt ne souhaitait pas s’engager dans cette démarche, mais il nous a laissé le champ libre pour le publier chez un autre éditeur. Pour ce qui est de la collaboration avec nobi nobi !, il faut savoir que nous avons également des activités d’agent. Notre rôle est de promouvoir la culture japonaise dans sa richesse et cela ne représente donc pas seulement les mangas. D’autres titres (non mangas) sont d’ailleurs en négociation pour d’autres éditeurs.

veret_shinjukuComment voyez-vous l’avenir d’Akata ?
En ce moment, nous sommes reconnu pour notre collection shôjo. Il y a donc beaucoup d’attentes de la part des lectrices et de Delcourt, qui souhaitent que l’on continue à être leader dans ce secteur. Mais l’équipe d’Akata veut toucher à tous les genres. Faire trop de shôjo nous enlèverait notre enthousiasme. En 2012, nous continuons bien sûr dans cette direction, mais nous revenons vers le shônen pour tenter de l’ouvrir à d’autres styles. Côté seinen et josei, vous avez compris que c’est difficile pour l’instant… Mais nous continuerons tout de même de proposer régulièrement des titres forts et adultes car c’est surtout ce qui m’intéresse. Sinon, avec les éditions Delcourt, nous sommes sur la fin d’un cycle contractuel. Le dialogue est ouvert pour un bilan et d’autres perspectives qui se feraient sur des bases renforcées pour les deux parties. Enfin, nous aimerions également pouvoir nous dégager du temps pour éditer des BD issues d’autres pays que le Japon et pourquoi pas d’auteurs français plein d’originalité. Et j’espère que cette année du Dragon va permettre aux critiques et aux lecteurs de sortir de leur confort léthargique. C’est 2012, il faut que cela soit explosif !

Propos recueillis par Rémi I.

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