Du Mignola, en veux-tu en voilà
Le prolifique Mike Mignola est présent en ce printemps dans les librairies françaises, avec plusieurs sorties marquantes, dont trois one-shot notables : Hellboy au Mexique, Frankenstein underground et Batman – La Malédiction qui s’abattit sur Gotham. Zoom sur ces trois comics atypiques, qui contribuent à dresser la carte du monde intérieur de Mignola, entre folklore macabre, goût pour les aventures d’exploration et influences lovecraftiennes.
Frankenstein underground
En empruntant sa créature à Mary Shelley, Mike Mignola ne se contente pas de reproduire le roman gothique de cette dernière dans un autre contexte. Non, il fait du monstre de Frankenstein un colosse en quête d’une humanité à jamais perdue, un être de chair morte qui désespère de se trouver une place dans le monde des vivants. Connecté à l’univers développé par Mignola car il avait déjà fait une brève apparition dans Hellboy, c’est bien par les thèmes ici explorés que le personnage s’insère logiquement dans l’oeuvre de l’auteur. Comme le diable rouge aux cornes brisées, il n’a pas demandé à venir au monde sur Terre, il est le jouet de forces qui le dépasse, et n’hésite pas à foncer dans le tas quand il est en colère. Ici, après une errance qui l’a conduit à n’être, au mieux, qu’une bête de foire, il pénètre dans un monde souterrain et découvre une cité antédiluvienne, peuplée par une colonie de scientifiques barrés et des bestioles gigantesques. Mix réussi des univers de Mary Shelley, Jules Verne et H.P. Lovecraft, cette mini-série oscille entre l’aventure de SF à l’ancienne et la poésie sombre et introspective, chère à Mignola. Dessinée avec brio par Ben Stenbeck (collaborateur fidèle de Lord Baltimore, Witchfinder ou B.P.R.D.), cette histoire – qui peut être appréciée des connaisseurs comme des néophytes de l’oeuvre de Mignola – se révèle très cohérente et trouve un bel équilibre entre épouvante et luminescence. Une chouette surprise.
Delcourt, 15,95 €, avril 2016.
Batman – La Malédiction qui s’abattit sur Gotham
Voilà une belle redécouverte que nous proposent les éditions Urban Comics. Fin 2000, début 2001, Mike Mignola écrit avec Richard Pace une courte série sur Batman, hors de la continuité classique des aventures du héros. On découvre un Bruce Wayne qui revient à Gotham après des années d’exploration dans le monde, avec ses deux « rejetons » Dick et Tim, se demandant si le costume de la chauve-souris lui va encore. Il n’aura pas à se poser la question trop longtemps, car la ville est menacée par des sorciers tordus et des créatures tentaculaires… Le tour de force Mignola pour cette sombre aventure de Batman est mêler la mythologie construite par le romancier H.P. Lovecraft (influence majeure de l’auteur) et celle du Dark Knight. Ainsi, il fait de son héros un homme doutant, non de sa force, mais de l’intérêt même de porter le costume, qui voit mourir ses proches les uns après les autres, à mesure qu’il subit des revers. En plus de versions étonnantes de Freeze, Poison Ivy ou le Pingouin, il devra faire face à ses propres démons pour empêcher le rôdeur maléfique de franchir le seuil de Gotham, et surtout retrouver la puissance magique qui a fait de lui, un jour, l’homme chauve-souris. Ce scénario assez littéraire – même s’il apporte son lot de combats – est passionnant, car il relègue Batman au second plan, dans un univers plus vaste et riche que la simple chasse aux super-vilains, pour faire des monstres lovecraftiens le coeur palpitant du récit. Au dessin, Troy Nixey assure, avec un trait gras et expressif, idéalement mis en lumière par le coloriste attitré de Mignola, Dave Stewart. Urban ne manque pas de publier les splendides couvertures d’épisodes signées Mike Mignola himself, bien plus impressionnantes que l’anecdotique histoire courte de Batman, Sanctuaire, en fin de volume.
Urban Comics, coll. DC Deluxe, 17,50 €, mai 2016.
Hellboy au Mexique
Forcément, il ne pouvait pas éviter cette destination. Le Mexique, avec ses fêtes des morts, ses légendes aztèques, ses luchadores… Hellboy y est donc allé et y a passé plusieurs mois mouvementés. C’est ce que raconte ce volume, rassemblant des histoires courtes parues notamment dans les anthologies Dark Horse Presents. Au milieu des cactus et des bouteilles de tequila, on y croise des zombies, des loups-garous, des sorcières envoûtantes (dans le joli Hellboy se marie), des catcheurs vaillants, mais aussi la créature de Frankenstein (voir plus haut). Plus cartoon et moins perchés que d’autres histoires courtes d’Hellboy s’appuyant sur le folklore américain ou européen, les récits proposés ici lorgnent volontiers vers le pulp et l’horreur, ce qui n’est pas pour nous déplaire. D’autant que Mignola convoque au dessin de sacrées pointures : Richard Corben et son trait brutal et délicieusement granuleux, les talentueux jumeaux brésiliens Fábio Moon et Gabriel Bá, et l’épatant Mick McMahon au graphisme anguleux et expressionniste extrêmement séduisant. Même s’il n’est que faiblement relié aux aventures principales d’Hellboy, voilà un album moins anecdotique qu’il n’y paraît dans la galaxie du héros à la main géante , plus solaire et moins mental. Un petit bonbon piquant pour les fans.
Delcourt, 15,95 €, mai 2016.
Pour mieux connaître l’univers d’Hellboy et les séries de Mike Mignola, allez donc faire un tour sur le dossier en ligne constitué par les éditions Delcourt.
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