Du nouveau côté manga (1/2) : Shibuya Michel Lafon
Hasard du calendrier, deux nouveaux éditeurs (Shibuya Michel Lafon et Omaké Manga) se sont lancés sur le marché du manga au mois de mars 2019. Hasard également, les deux personnes à la tête de ces deux éditeurs se sont croisées sur les bancs de la faculté de japonais en 2000, avant de creuser leur propre voie dans le milieu du manga et de la pop culture japonaise. Ils proposent deux visions différentes, complémentaires, et complètement dans l’air du temps. Rencontre avec Shibuya Michel Lafon, avant de présenter Omaké Manga la semaine prochaine.
À la tête de Shibuya Michel Lafon, Sahé Cibot n’en est pas à son premier coup dans le manga. Après avoir été notamment porteuse de projet pour les éditions Casterman et cofondatrice des éditions Akata, elle signe ici son retour dans le monde de l’édition. C’est avec une joie non dissimulée qu’elle nous a parlé de cette collection qui « se veut ouverte à tous les genres et publics ».
Pas de BD japonaises
Alors que Michel Lafon a relancé sa collection BD et que Ki & Hi est un succès retentissant, l’éditeur souhaitait élargir son spectre en publiant des mangas. L’alliance entre la maison d’édition presque quarantenaire et la société Shibuya Productions s’est faite progressivement : « Michel Lafon souhaitait développer une collection manga avec plus de lien avec le Japon, raconte Sahé Cibot. Nous avions l’expérience, les relations, et la connaissance du milieu. Ça s’est fait naturellement. » Elle précise qu’il ne s’agira pas à proprement parler de mangas (bandes dessinées japonaises). « Mais les œuvres qui seront publiées par Shibuya Michel Lafon en auront le format, la narration, l’inspiration et la dynamique. Et les auteurs du label sont tous à leur manière abreuvés de dessins animés et de mangas. »
Trois types de formats seront proposés dans cette collection, en fonction de leur cible et de leur genre. Plus grand qu’à l’accoutumée, les shônen auront un format 13×18 cm pour 7,95 € et les seinen feront 14,5×21 cm pour 10,95 €. Une autre collection proposera des œuvres adultes en couleurs au format 18×24 cm pour 14,95 €.
Les seinen seront généralement proposés sous forme de trilogie. Et l’éditeur « essaiera de sortir les 3 tomes sur une année calendaire ». Pour ce qui est des shônen, cela dépendra du succès : « Nous ne nous sommes pas fixé de réelle limite. S’il y a une série qui arrive à trouver un public, on pourra se laisser porter sur de très longues durées. » L’éditeur fera par contre en sorte de garder la dynamique de sortie propre au genre en essayant de démarrer la série sur « un rythme d’un tome tous les 4 mois au maximum, au moins pour les 3 premiers volumes ».
Deux titres pour le lancement
Leurs deux premiers titres de Shibuya Michel Lafon sont parus le 14 mars 2019. Il s’agit de deux séries totalement différentes : Nako et La Voie de Van Gogh. « Les deux ont participé au concours de manga que Shibuya Productions organise avec Shueisha et face aux planches on s’était posé la question de savoir s’il fallait les mettre en première ou deuxième position, explique Sahé Cibot. Finalement, il nous a paru plus logique de créer le prix spécial du coup de cœur du jury, qui n’était pas prévu à l’avance. »
« Avec Hervé Trouillet, directeur artistique de Shibuya Productions, Nako est un des premiers titres qu’on avait sélectionnés dès la première lecture, ce qui n’est pas souvent le cas, se souvient Sahé Cibot. Les deux auteurs ont assimilé leurs influences et restituent le tout dans un titre qui devrait plaire à public de collégiens et lycéens. »
Le premier tome est effectivement vraiment chouette et introduit de manière bien rythmée le parcours initiatique de Nako, adolescent sur le point de prendre ses responsabilités. Les codes de la narration du manga sont bien exploités et Max ne se laisse pas écraser par les nombreux calibres du genre. Son esthétique est personnelle et pioche plus du côté de Lastman et du dessin de Bertrand Gatignol (Pistouvi, Les Ogres-Dieux…) que des canons du shônen. Et c’est tout à son honneur. Son habit de lavis numérique lui va comme un gant et soutient le rendu à la fois mignon et plein de peps du dessin. La mise en page sait se modeler en fonction du propos et de l’action. Un démarrage qui augure une belle aventure.
La Voie de Van Gogh avait quant à elle attiré le jury pour plusieurs raisons. « Tout d’abord, c’est un coup cœur pour la thématique. En plus, ce titre est une combinaison étonnante entre un auteur très jeune, une thématique seinen, un dessin seinen sombre. Le propos mature et le décalage que cela crée est intéressant. » La directrice éditoriale ajoute même que « Michel Lafon en personne avait déjà remarqué ce titre-là à l’époque« et que « ceux qui apprécient Jirô Taniguchi devraient s’y retrouver ».
Cette trilogie a pour vocation de retracer la vie de Vincent Van Gogh de manière peu habituelle et de parler de la stratégie des deux frères Van Gogh pour prendre leur place dans le marché de l’Art. On n’est pas dans l’hagiographie ni dans la présentation totalement objective de sa carrière. Ambitieuse, cette série n’est pour l’instant pas à la hauteur des promesses. Avec ce premier tome, on en apprend certes davantage sur l’homme et son parcours, mais on n’est pour l’instant pas happé par la narration… Les dessins en clair-obscur collent au ton volontairement sombre de l’histoire. Du haut de ses 19 ans, Seldon manque encore un peu de maturité graphique et narrative. Les visages déformés et les personnages peu amènes semblent collés sur des décors tirés de photographies… et ne sont pas du plus bel effet tout en renforçant l’aspect peu naturel et rigide de l’ensemble.
Ligne éditoriale et rythme de parution
Si le label se lance sur deux titres présentés lors de leur concours Magic International Manga Contest, ce ne sera pas forcément le cas des suivants. « D’autres types de créations vont vite arriver. Il y aura beaucoup de nouveaux talents, mais on va également travailler avec des auteurs français, internationaux et japonais connus. » Au niveau du volume de sorties prévues, « 5 nouveaux titres pour 2019 et a priori 4 en 2020« et pas moins de « 7 volumes publiés pour la première année, et entre 15 à 20 sorties annuelles dans les années à venir ».
La question de la disponibilité des œuvres en numérique n’est pour l’instant pas une priorité, mais Sahé Cibot précise que « c’est une option qu’on considère de manière positive, donc a priori ça devrait se faire à terme ».
Enfin, quand on lui pose la question de l’achat de droits, comme cela se passe généralement dans l’édition de manga, sa réponse est claire : « Il y a déjà plein de gens qui achètent des licences, il y a de très chouettes licences qui sont proposées, mais ça m’éclate plus de travailler sur de la création à ce jour. C’est plus complexe, mais aussi plus enrichissant et valorisant. » L’éditrice ne s’interdira par contre pas de reprendre et revenir sur des titres forts et qui ont marqué des générations. Preuve en est, leurs deux annonces lors de la 5e édition du Magic : Didier et Lyse Tarquin (Lanfeust, U.C.C. Dolores…) vont faire revivre l’univers de Leiji Matsumoto (Albator, Galaxy Express 999, L’Anneau des Nibelungen…) en BD et en collaboration directe avec le mangaka. Jean-David Morvan, Guillaume Martinez et Gérald Parel s’attaqueront pour leur part à Astro Boy. Autre auteur connu annoncé pour 2019 : Florence Torta (Sentaï School) qui écrit Solios avec Dhafer. Enfin, Cédric Biscay (fondateur et PDG de Shibuya Productions) a également révélé à Télé Monaco magazine qu’il réalisait un rêve, car il était le scénariste d’un des titres prévus pour 2020 : Blitz, un manga sur le thème des échecs créé en collaboration avec Garry Kasparov.
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