Dum Dum
Berlin, années 1930. Voilà une bonne dizaine d’années que la Première Guerre mondiale est terminée. Celle-ci semble bien loin, la capitale allemande avance à marche forcée vers un modernisme sans précédent et le nazisme gagne du terrain. Seulement, certains hommes ont beau avoir réussi à se tirer vivant de ce conflit meurtrier, leur esprit reste embrumé par les horreurs vécues. C’est le cas de Stan, qui est invité par un cousin à rejoindre la capitale pour travailler.
Tout le potentiel narratif et dramatique de Lukasz Wojciechowski s’était déjà révélé dans Soleil mécanique. Reprenant ici le petit format à l’italienne cartonné, on reconnaît immédiatement son style inimitable. Architecte, l’auteur polonais crée ses albums avec le logiciel de dessin technique AutoCAD. Il en ressort une bande dessinée à nulle autre pareille, au design anguleux basé sur la ligne. Exploitant ses potentialités de nombreuses manières, Lukasz Wojciechowski parvient à rythmer son titre et à lui prêter une allure et un cachet certains.
Bluffé par l’aspect technique de cette démarche, on est agréablement surpris de constater que la forme entre en résonance avec le fond. Inspiré par l’histoire de son propre arrière-grand-père, l’auteur parvient à retracer une histoire personnelle, mais également un récit historique universel d’une vraie richesse. Car l’histoire de Stan, c’est aussi celle de nombreux Polonais qui ont survécu à la guerre et sont revenus du front en subissant des troubles de stress post-traumatique. À l’époque, les recherches sur le sujet n’en sont qu’à leurs balbutiements et les survivants tentent de poursuivre leur vie sans aucune prise en compte de leur état. Dans Dum Dum, titre provenant du nom des balles utilisées durant la guerre et dont le son hante Stan au quotidien, nous entrons dans le cerveau et les pensées de cet homme meurtri. Et dans une montée en puissance progressive le récit prend son ampleur et parvient à capter la détresse permanente dans laquelle ces victimes sont baignées. Un tour de force d’autant plus remarquable qu’il repose sur une grande sobriété de mise en scène.
Traduction : Fanny Soubiran
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