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Emmanuel et François Lepage, aventuriers en Antarctique

17 novembre 2014 |

Après un long périple, marqué par de longues attentes et hésitations, ils ont conduit pendant douze jours un tracteur en Antarctique. Emmanuel Lepage et son frère François, photographe, racontent cette expédition inattendue dans La Lune est blanche. Un ouvrage riche, varié – on y trouve des croquis, illustrations et photos –, qui dépayse fortement, tout en ouvrant au lecteur l’intimité de deux frères, dont la rivalité n’est pas absente.

lepage_portraitComment êtes-vous parvenus à faire ce voyage rare ?

Emmanuel Lepage : En 2010, nous étions déjà partis ensemble sur le Marion Dufresne dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). Nous avions alors rencontré le directeur de l’Institut polaire français, Yves Frenot, qui nous avait vu travailler. Quand la BD [Voyage aux îles de la Désolation, ndlr] est sortie, il a été le premier à m’écrire. Et quand le livre [de photos, ndlr] de François est sorti, il nous a invités à visiter l’Institut. En mai 2012, il m’a demandé si nous étions intéressés par la Terre Adélie. Je lui ai alors proposé de réaliser un ouvrage à deux entrées, avec des photos et de la bande dessinée. Initialement, nous devions suivre une mission océanographique sur le krill et les baleines, et passer quinze jours à la base scientifique Dumont d’Urville (DDU). De mon côté, j’avais demandé si on pouvait assister au départ du raid de ravitaillement pour la station Concordia. Je savais qu’il n’y avait pas de passagers pour cette aventure extrême. Je voulais voir comment ça s’organisait, ce convoi extraordinaire qui traverse l’Antarctique dans des conditions inouïes. Et, contre toute attente, Yves nous a proposé d’être chauffeurs du raid !

François Lepage : Un sénateur, devenu préfet des Terres Australes et rencontré sur le Marion Dufresne [le navire ravitailleur des TAAF, ndlr], l’avait fait, et ça l’avait profondément bouleversé. Il en parlait avec des étoiles dans les yeux : douze jours dans le grand blanc, à même hauteur que les autres hommes… On a voulu en être.

lepage_1Sans vous poser plus de questions que cela ?

E. L. : La proposition était rocambolesque : je ne suis pas un conducteur émérite, et je ne savais même pas s’il fallait un permis spécial pour conduire ces poids lourds… Une seule journée de formation suffisait, pour un départ fixé à la mi-décembre. Au moment de partir, le bateau qu’on devait rejoindre à Hobart, en Tasmanie, était coincé dans les glaces. Deux semaines durant, le voyage a été reporté toutes les 48h. À cause de ce retard, la mission océanographique a été annulée. On perdait espoir… J’étais partisan d’attendre l’année suivante pour faire le raid, François d’y aller malgré tout, quitte à modifier le contenu de notre séjour.

F.L. : Pour moi il fallait partir quand même, car il risquait de se passer la même chose l’année d’après. Certes, ce n’aurait pas été ce dont on avait rêvé, mais il faut accepter ce que la vie propose.

Vous finissez par embarquer…

E. L. : Oui, Yves Frenot nous “réactive”. Mais l’Astrolabe, notre bateau, se retrouve bloqué dans la glace, il n’avance pas, on fait des tours dans l’eau. On ne sait rien, on mijote dans l’impossibilité de projeter ce qui va se passer. Le plus difficile, c’est qu’on ne maîtrise rien, il faut s’adapter aux éléments. La survie en Antarctique n’est liée qu’à cette capacité à s’adapter : on ne peut aller contre la puissance de la nature. On a passé huit jours dans la glace. Un jour, nous avons su que le raid allait partir dans 48h, alors nous nous sommes résignés. La devise du groupe, c’était : “en Antarctique, pas de pronostics”.

F. L. : Le capitaine nous avait dit que rien ne pouvait débloquer le bateau, à part une tempête, qui n’était pas prévue. Le moteur était coupé, on était dans le pack, cette étendue blanche mouvante, comme un animal qui prend de grandes respirations. C’était agréable, car il n’y avait plus de bruit de moteur… Mais ça voulait dire que pour nous le raid était mort, fini. Et puis soudainement, le lendemain, on s’est trouvé proches des eaux libres où flottaient les icebergs. Le soir, on redémarrait le moteur.

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Une fois arrivés à la base Dumont d’Urville, une surprise vous attendait.

F. L. : Le chef de l’expédition nous a expliqué que les conditions étaient telles qu’un seul de nous deux pouvait faire le raid. Il suggérait que je parte et qu’Emmanuel dessine ensuite d’après mes photos. Nous avions deux heures pour y réfléchir. Le moment était critique : faute de ravitaillement, le chef avait pensé fermer la base afin de pouvoir garder Concordia ouverte. L’Astrolabe avait trois semaines de retard, il manquait du fuel. Beaucoup des spécialistes missionnés devaient repartir tout de suite pour ne pas être bloqués, ils étaient très déçus : certains avaient travaillé sur leur projet pendant deux ans…

E. L. : Décider qui de nous deux devait partir sur le raid était une lourde responsabilité. Les scientifiques s’attendaient à ce qu’on parle de DDU, les gens qui avaient lu Voyage aux îles de la Désolation espéraient que je fasse la même chose sur la Terre Adélie. Je me sentais un devoir par rapport à eux. Quel dilemme…

F. L. : Moi je me sentais plus libre, personne ne connaissait mon livre, je subissais moins de pression induite qu’Emmanuel.

E. L. : Pendant un court instant, il a été évident que François partirait, et j’intègre que je vais passer un mois à DDU. Puis j’apprends que je risque finalement d’y rester deux ou trois mois – ce n’était pas prévu, et j’ai quand même des enfants qui m’attendent en France… Le soir, à table, un copain m’explique qu’une scientifique me remplacera sur le raid. Je comprends alors que, techniquement, j’aurais pu partir, qu’il y avait en fait bien une place prévue pour moi. Et je craque… François me dit qu’il faut en parler, on va voir le chef de l’expédition, et on lui dit qu’on part tous les deux. “Vous n’allez pas parler de DDU ?”, me demande-t-il alors. Je réponds que non. C’est un coup de poker. Mais le rêve du raid est plus fort que la “commande” qui m’a été faite, qui est passée au second plan

lepage_3Comment s’est passé le raid ?

E. L. : Un soir, un des camarades m’a dit “à demain, pour la même journée !” C’était exactement ça, on se croyait dans le film Un jour sans fin.

F. L. : En réalité, c’est chiantissime de conduire pour le raid ! On se retrouve sur une piste glacée, dans un vieux tracteur, accroché à d’autres tracteurs… Moi, je pouvais lâcher le volant, mais il faut rester vigilant, car si le véhicule de tête s’arrête on doit pouvoir stopper sa machine aussi vite que possible. Or je m’endormais en permanence… J’ouvrais régulièrement la porte pour que l’air froid me réveille. Je ne pouvais pas descendre, je faisais donc des photos par la portière. Une fois, j’ai fait arrêter le convoi pour un cliché. Mais globalement, il n’y a rien à photographier : il n’y a aucun point de vue ! C’est hyper angoissant pour moi qui avais l’habitude, en tant que photographe de presse, d’être pris dans un mouvement, une course. Là, j’étais face au vide, au blanc de la glace, qui est difficile à exprimer.

E. L. : Moi, je devais tenir le volant, puisque mon véhicule tractait une lourde charge. De temps en temps le chauffeur qui me précédait s’endormait, et je me sentais partir sur le côté…

Emmanuel, comment avez-vous déterminé la place laissée à votre frère dans l’album et sa réalisation ?

E. P. : Dès le début, il était convenu que je serai le narrateur et que j’écrirai l’histoire – étant donné que je suis auteur de BD, cela paraissait plus simple et logique. Mais j’ai travaillé à partir d’éléments qu’il m’a fournis, soit environ soixante-dix photos qu’il a prises et sélectionnées, ainsi que des lettres qu’il a adressées à sa compagne, afin de montrer les enjeux personnels de l’histoire. J’ai commencé à concevoir mon récit à partir de cela, en ajoutant des informations sur l’Antarctique, des éléments historiques, des croquis… Il m’a fallu faire des choix : j’ai par exemple sélectionné les clichés qui ne redondaient pas au sein de la narration, j’ai ainsi dû en sacrifier de très beaux. Ce récit est à deux voix : il n’y a pas de nous, mais mon “je” et celui de mon frère.

Vous abordez votre relation fraternelle de façon assez intime…

E. P. : Quand François m’a expliqué qu’il souffrait du fait qu’à l’Institut polaire, on lui parlait toujours de mon livre, et jamais du sien sur le même sujet, j’ai compris que je devrais évoquer notre “psychologie” commune… J’ai été surpris de voir qu’il vivait mal le fait de se retrouver dans la peau du “frère du dessinateur”. Et ça, je ne pouvais pas l’occulter, si je voulais demeurer honnête dans mon récit. J’ai préféré dire les choses frontalement, pour mieux m’en débarrasser.

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Quels sont vos projets ?

F. P. : Un livre de photos sur l’Antarctique, Les Ombres claires, va bientôt être publié chez Perspectives Art 9. Je continue à travailler sur des territoires isolés, comme le canal du Mozambique. Mais organiser ce type de reportage prend beaucoup de temps. J’aimerais revenir à des choses plus spontanées.

E. P. : Je prépare un album sur ma petite fille, chez Daniel Maghen. J’aimerais ensuite creuser un sujet qui m’habite depuis vingt-cinq ans : la communauté agricole chrétienne où j’ai vécu quelques années quand j’étais enfant, avec mes parents.

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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lune_couvLa Lune est blanche
Par Emmanuel et François Lepage.
Futuropolis, 29€, le 9 octobre 2014.

Images © Futuropolis / photo D.R.

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Commentaires

  1. Carlo Giampiccolo

    BELLO! INTERESSANTISSIMO!

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