En compagnie d’Emmanuel Guibert, à Angoulême
Emmanuel Guibert, Grand Prix du 47e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême fait l’objet d’une exposition exceptionnelle en 2021. Prévue pour accueillir le public dès le lancement de cette nouvelle édition du FIBD, différé pour cause de Covid-19, elle a vu son inauguration elle aussi décalée. Nous avons quand même pu la découvrir il y a quelques jours… dans l’espoir que le musée d’Angoulême, qui l’héberge, puisse rapidement rouvrir ses portes. Visite guidée de Emmanuel Guibert, en bonne compagnie, avec l’auteur.
« Ici, on est à Cognac, chez ma grand-mère, et je lis un recueil de Spirou de 1948. » Juste au-dessus du masque d’usage, les yeux d’Emmanuel Guibert semblent encore plus rieurs que d’habitude. Cet après-midi de janvier, alors que devait se tenir le 48e Festival d’Angoulême, l’auteur fait découvrir avec une joie non dissimulée l’exposition qui lui est consacrée à une poignée de journalistes chanceux, dont nous faisons partie. Posté devant une reproduction de plusieurs mètres d’une de ses encres le représentant enfant, assis dans un transat en train de dévorer une BD, il se décale et pointe du doigt l’original qui a servi à l’affiche. À nouveau dans ses jeunes années, en train de lire, la tête reposant sur sa jambe. « J’ai encore en mémoire ce goût de jambon ferrugineux qu’avait mon genou, détaille-t-il malicieusement. Je suis en train de lire un Tintin, très certainement Le Crabe aux pinces d’or. »
Contrairement à ce que pourrait laisser croire l’auteur de La Guerre d’Alan avec cette introduction, ici pas de bandes dessinées. Mais ses passions, sa vie. « On voulait montrer quelque chose de différent de ce qui a été fait ces dernières années », explique Sonia Déchamps, la commissaire et codirectrice artistique du festival. Car, chose exceptionnelle, c’est la troisième expo en moins de quatre ans qui est dédiée à l’auteur, après Emmanuel Guibert. Biographies dessinées à l’Académie des Beaux-Arts à Paris en 2020 et Le Dessin comme écriture, lors de l’édition 2018 du festival d’Angoulême. Il ne fallait donc pas se répéter.
La première partie d’Emmanuel Guibert en bonne compagnie, intitulée « Herborisons », dévoile sa passion pour ses balades en extérieur et le dessin d’observation. Arbres, forêts, temples, toits, montagnes… De France, du Japon, de Chine ou d’ailleurs… L’auteur fait montre – si l’on en doutait encore – de son incroyable maîtrise des arts graphiques. « Il y a beaucoup d’inédits. C’est le résultat de 30 ans de carnettistes. J’ai commencé à mes 27 ans. Vous verrez donc ici 30 extraits, un par an : de la peinture, des estampes, des gravures, des dessins… »
Le regard pétillant, l’auteur se livre avec plaisir au jeu des pourquoi et des comment. « Avec ces confinements, j’ai voulu montrer le dehors, la nature. Ça m’a permis de rouvrir des cartons et de redécouvrir des vieux dessins. Il y a eu un vrai travail de création et de collaboration avec l’équipe du festival. J’y ai consacré du temps, celui dédié habituellement à mes livres. »
Illustration de cette volonté de mise en scène de ses travaux : l’espace « Sous-bois ». Dans cette alcôve noire, des empilements de dessins rétroéclairés. Certains reproduisent la percée des rayons du soleil à travers les feuillages, d’autres donnent l’impression de scanner un arbre et ses racines. « Ce ne sont pas des dessins qui ont été fait au même moment ni même créés pour être assemblés. L’objectif était de donner un effet vivant en les superposant. »
L’auteur s’avance vers la deuxième partie de l’exposition, « Fraternisons ». « Ça aurait pu aussi s’appeler le bar des amis… Exposer, c’est recevoir chez soi. Alors si je montre mon chez moi, mes dessins, pourquoi je ne montrerais pas mes amis ? »
C’est peu dire si le concept d’amitié lui tient à cœur. En témoignent la saga d’Alan (L’Association), dédiée à Alan Ingram Cope, la trilogie Le Photographe (Dupuis/Aire Libre) mettant en scène Didier Lefèvre ou plus récemment Mike (Gallimard), récit consacré à Michael James Plautz, tous trois des compagnons chers à l’auteur. C’est d’ailleurs par ce dernier, architecte américain, lui aussi pratiquant du dessin d’observation, que débute ce deuxième tiers de l’exposition. « Un dessinateur de BD n’est pas et ne doit pas être constitué que de BD. Il y a ici des écrivains, des sculpteurs… » Guibert parle avec admiration de ces artistes, dont certains sont disparus. À nouveau, c’est un tour du monde : Amérique, Lituanie, Chine, France. Défilent ainsi des œuvres de Cécile Reims, Ye Xin, Micheline Bousquet, Jean-Louis Faure, Alain Keler ou encore Fiamma Luzzati, qui a dépeint sur son blog le travail des soignants pendant la première vague de Covid-19. « On est avec les autres. On crée par et pour les autres… Encore plus en ayant bu », glousse-t-il.
Une fois passée l’imposante sculpture d’un Napoléon plus vrai que nature, Emmanuel Guibert passe le relais au scénographe Philippe Ghielmetti, pour un univers encore différent : « La musique. C’est son autre passion, assure le producteur et commissaire de l’exposition qui lui était dédiée cet été à l’académie des Beaux-Arts de Paris. Même s’il vous dira le contraire, il joue très bien de la musique. D’ailleurs, c’est lui qui a écrit et interprète celle de la dernière saison de la série animée Ariol. » La visite se poursuit ainsi par ce « Cool couloir de la belle musique », dévoilant ses illustrations réalisées pour les pochettes de disques du label musical Vision Fugitive.
Les dernières affiches nous amènent dans une salle où est projeté un film qui dévoile tout le génie de Guibert. Assis au calme, au milieu d’une prairie. Il y cueille quelques branchages qu’il dépiaute puis trempe dans son aquarelle et peint. « On est bien là. »
Les plus jeunes pourront partir à la recherche d’Ariol et de ses copains dans les collections permanentes du musée d’Angoulême, à travers un jeu de piste ludique et amusant. Vivement que ça ouvre !
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Exposition Emmanuel Guibert, en bonne compagnie
Musée d’Angoulême, jusqu’au 27 juin 2021, ouverture reportée
Catalogue « Emmanuel Guibert, en bonne compagnie », Conversations avec Jacques Samson
Les Impressions Nouvelles, 160 pages, 35 €.
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Photos © Hadrien Chidiac pour BoDoï
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