Enrico Marini toujours piqué du Scorpion
Il excelle à donner chair aux chorégraphies rythmées de son héros, jamais en panne d’un duel endiablé ou d’un saut sur les toits. L’Italien Enrico Marini – né et installé en Suisse – dessine depuis huit ans Le Scorpion, une série de cape et d’épée scénarisée par Stephen Desberg. On suit avec plaisir ces aventures classiques mais d’excellente tenue, celles d’un coureur de jupons et de trésors (surnommé le Scorpion) aux origines obscures. Une marque de la forme d’un scorpion orne son épaule, le faisant passer aux yeux de certains pour le fils du Diable. Mais ne serait-il pas celui d’un haut prélat, plutôt ? Cet homme frondeur s’est allié à l’empoisonneuse Méjaï pour contrer les projets de Trebaldi, un Pape totalitaire. Dans ce huitième épisode, les rebondissements affluent, mettant en avant de nouvelles figures ou des personnages secondaires. Dans la Rome du XVIIIe siècle, le ballet des épées et celui des intrigues se poursuit en beauté.
Cet épisode voit le Scorpion et la venimeuse Méjaï se rapprocher, au risque de tomber dans le romantisme. Vos héros ne se ramollissent-ils pas ?
Le Scorpion commence à fatiguer un peu, il a beaucoup couru depuis le début de la série… Il pense à changer de vie, à partir avec Méjaï. Mais cela reste un rêve, car c’est un aventurier ! Il doit se venger et découvrir ses origines.
Dans cet album surgit comme par enchantement Marie-Ange, sa femme…
Oui, c’est une surprise. Le Scorpion retrouve son premier grand amour, ce qui fait basculer sa relation naissante avec Méjaï. Il aurait été dommage que ces deux tourtereaux trouvent la paix, tout le monde se serait ennuyé… D’autres protagonistes montent en puissance, comme Nelio Trebaldi, le jeune frère du Pape, qui constitue un rival de taille pour notre héros. Les personnages sont bien typés, pour que les lecteurs ne se perdent pas et puisse éventuellement s’identifier à certains. La série est touffue, mais reste encore lisible. L’intrigue principale reste simple et concerne la quête identitaire du héros. Certains trouvent que tout cela est bien long, car ils pensent connaître déjà le fin mot de l’histoire.
Et ce n’est pas le cas ?
Jusqu’à présent, nous avons présenté des possibilités, des hypothèses. Comme celle que le Scorpion soit le fils de Trebaldi, par exemple. Mais ceux qui pensent avoir déjà tout compris ont tort. Ils seront surpris…
Quand comptez-vous arrêter la série ?
Stephen Desberg et moi ne ferons pas trente ou quarante albums, rassurez-vous. Mais encore quelques-uns… Autour du onzième ou douzième épisode, nous aurons les informations les plus importantes concernant son identité. Ensuite, il y aura éventuellement d’autres aventures… S’il reste des survivants.
N’avez-vous jamais ressenti de lassitude face au Scorpion?
Si, cela m’arrive. Il peut être fatigant de dessiner pour la millième fois des évêques, des moines guerriers, des femmes en robe et des hommes en tunique… Finalement, dessiner tous ces vêtements commence à me lasser. Je dois être masochiste, puisque je continue à en dessiner dans Les Aigles de Rome, dont j’assure le dessin et le scénario. Je travaille actuellement sur le deuxième tome – il devrait y en avoir quatre ou cinq.
Quelle importance la peinture a-t-elle pour vous ?
Je suis notamment influencé par les œuvres baroques européennes. J’aime Fragonard, Vermeer, Tiepolo, mais aussi les Impressionnistes… Les gravures de Vasi ou Piranese m’ont beaucoup servi pour imaginer l’environnement du Scorpion. La peinture modèle la façon dont je mets en couleurs : je cherche à retrouver une matière, un grain, en créant des lumières et des ambiances à l’aquarelle et à l’encre acrylique. Je fais tout à la main, en m’autorisant quelques retouches sur Photoshop.
Soignez-vous particulièrement les scènes d’action ?
Oui, mais elles me viennent facilement, j’aime bien les réaliser. Je prépare le découpage, je dessine le story-board, et je lâche mes « acteurs » sur la planche. Ce qui est frustrant, c’est la limite des 46 pages…
Pourquoi ne pas imaginer un double album du Scorpion, alors ?
Cela casserait le rythme de la série, ce serait trop cher à fabriquer et les collectionneurs n’apprécieraient pas forcément… Et puis figurez-vous qu’avec ma technique, qui prend beaucoup de temps – 6 mois intensifs pour un Scorpion -, je suis bien content de finir un bouquin quand j’arrive à la page 46 !
Quels sont vos projets ?
Le tome 9 du Scorpion, puis le dixième, le onzième et le douzième. Après, on verra ! J’aimerais les alterner avec Les Aigles de Rome. Ensuite, dans quatre ou cinq ans, quand ces deux séries seront « terminées », j’attaquerai autre chose. J’ai envie d’une BD contemporaine, pour changer. Et qui, idéalement, rapporterait énormément d’argent… Il m’en faudra, puisque j’ai trois filles à la maison !
Ah, mais pour ça vous avez Empire USA, projet pharaonique de Dargaud auquel vous participez…
Pas du tout, car je n’ai pas fait grand chose ! J’ai prêté mon nom pour faire plaisir à l’initiateur de la série, Stephen Desberg. Mais je n’ai fait que croquer trois personnages que je ne reconnais même plus sur le papier. Henri Reculé a fait tout le reste. D’ailleurs, je tiens à préciser qu’il y a dans Empire USA un protagoniste que l’on m’attribue souvent à tort : Zmalek, un terroriste barbu qui ressemble au Scorpion et à Drago, le héros de Rapaces [une série dessinée par Enrico Marini et scénarisée par Jean Dufaux]. Or je ne l’ai pas inventé, c’est Henri Reculé le responsable… Qu’il se repente de ce péché devant Dieu (ou moi), ce misérable !
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Photo © Rita Scaglia- Images © Dargaud
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Le Scorpion #8
Par Enrico Marini et Stephen Desberg.
Dargaud, 10,40 €, le 7 novembre 2008.
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