Esprit des morts
On le sait, Edgar Allan Poe maîtrisait à la perfection le genre du conte fantastique. Et qui d’autre que Richard Corben (Ragemoor), dessinateur culte pour beaucoup (dont Bastien Vivès !), pouvait lui rendre la pareille graphique ? Dans Esprit des morts, Corben se met donc au diapason de la littérature pour exprimer visuellement tout le champ de l’effroi : terreurs froides, visages hantés ou grimaçants, corps effrayants, vallées cauchemardesques, chaque conte semble frayer avec les fantômes les plus repoussants, toujours ancrés dans un sordide réalisme fantastique.
Dans l’adaptation de La Chute de la maison Usher, le génie créatif de Roderick n’a d’égal que sa folie rampante. Ailleurs (The City in the Sea), c’est le regard vide et angoissé d’un navigateur perdu en enfer qui frappe (voir ci-contre). Avant d’être happé par un orang-outang dompté par le diable (Double assassinat dans la rue Morgue). Oui, Corben est bien un génie du dessin. Le résultat graphique est impressionnant, tout en tension et à la limite du surjoué parfois tant l’auteur va loin dans l’art de la caricature. Non seulement il sait poser ses récits ou varier cadrages et découpages pour insuffler du rythme à ses compositions, mais il a aussi un parfait sens des ambiances. Au-delà du sombre décorum étudié (et carnavalesque dans Le Masque de la Mort Rouge), les personnages en sursis évoluent dans des narrations inquiètes où folie et mort flirtent avec un désespoir morbide. Largement figuré par des faciès déformés, paniqués ou hagards, entre force brute et complexité calculée, sans éluder une forme d’ironie bien sentie. En adaptant Poe, Corben donne donc sa vision du monde, interprète des émotions, puis finit lui aussi par exprimer ses propres obsessions. Résultat, 14 adaptations pour 220 pages de pur bonheur horrifique, le tout embelli par un travail d’édition sans faille. Bien joué !
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