Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ?
« Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? » C’est le titre — pas tout à fait engageant — de cet album de l’illustratrice et auteure de BD américaine Roz Chast. C’est, surtout, ce que ses parents nonagénaires lui répondaient quand elle évoquait leur fin de vie, leurs souhaits post-mortem. Dans cet épais (235 pages) roman graphique, elle raconte l’histoire de George et Elizabeth, « âmes soeurs » nées en 1912, grandies à East Harlem, installées à Brooklyn — côté populaire, surtout pas bobo, précise-t-elle. D’un côté, un homme attachant, doux, professeur de langues, passionné d’étymologie, incapable de se débrouiller d’une machine, aussi simple soit-elle. De l’autre, une femme brillante, tyrannique, colérique, qui terrifie sa fille.
D’un trait jeté, habillé de couleurs douces et lumineuses, Roz Chast se met peu en scène pendant son enfance ou son adolescence — dont on saisit qu’elles ne furent pas heureuses. Mais elle entre, sans complaisance, dans la problématique qu’elle doit gérer à l’âge adulte : les dernières années de ses parents. Très concrètement, on suit son cheminement (comment comprendre leurs besoins, les accompagner, leur faire réaliser leur état, puis accepter de l’aide…), et ses états d’âme — George et Elizabeth sont parfois touchants, souvent agaçants, refusent de perdre leur indépendance, culpabilisent (consciemment ou non) leur unique enfant…
Sous ses crayons, l’humour et la douleur se mêlent. L’auteure n’évite aucun sujet : la confusion mentale de son père ; la manière dont elle installe ses parents en maison de retraite, quasiment contre leur gré ; son angoisse de ne plus pouvoir financer leurs soins ; l’incontinence qui survient, presque par surprise ; le désir, finalement, de voir ses propres géniteurs mourir, enfin… La franchise dont Roz Chast fait montre est infiniment salutaire. Avec talent et sensibilité, elle raconte sans détours les dilemmes auxquels chacun de nous, un jour, pourrait être confronté.
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