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Étienne Davodeau : vivre heureux après 50 ans

10 janvier 2020 |

etienne-davodeau-photoBertiniÀ 54 ans, Étienne Davodeau est bien placé pour exprimer les questionnements d’Yvan, personnage imaginé avec Joub et Christophe Hermenier, pour Les Couloirs aériens. Ayant perdu coup sur coup ses parents et son travail, ce quinquagénaire se réfugie dans la maison d’un ami, dans un coin isolé du Jura. Déprimé, il s’attelle au tri des affaires de ses parents. Il fait l’inventaire de leur vie et de la sienne. Sa femme est à l’étranger pour son boulot, leurs grands enfants ont quitté le nid depuis longtemps. Quel avenir l’attend ? Les planches lumineuses de l’auteur angevin, empreintes d’humanité et de ces touches réalistes qui caractérisent son oeuvre, accompagnent le lecteur dans ses propres réflexions sur les questions de deuil et d’amitié. Rencontre avec un dessinateur qui vit « les plus belles années » de sa vie.

Vous avez co-écrit ce récit avec deux amis de fac, Joub et Christophe Hermenier. Votre personnage principal, Yvan, c’est un mélange de vous trois ?

En grande partie ! Avec une plus forte proportion de Christophe, car c’est lui qui a subi un double deuil et la perte de son boulot l’année de nos 50 ans. Tous les gens qui gravitent autour d’Yvan sont composés avec des éléments de nos biographies ou de celles de nos amis et amies. Mais cela reste une fiction !

davodeau-couloirs-aeriens-bienEn effet, pour Yvan la cinquantaine est une période difficile…

L’année de nos 50 ans, on l’a vue arriver de loin. Elle nous intriguait un peu, parce qu’à l’âge de 19 ans, nous étions trois jeunes pleins d’énergie et d’une morgue inconsciente, et nous étions allés à la fête d’anniversaire d’un mec de 50 ans. On avait alors le sentiment que c’était un mec fini… on a un peu changé d’avis depuis ! On était attentifs à ce qui allait nous arriver. Plutôt que de subir cette période, on a décidé de la transcender dans un récit. On part d’un malheur, mais ce n’est pas seulement ça. En fait, Joub, Christophe et moi n’avons pas la même approche de cette période de la vie. On a utilisé nos différences de perception pour nourrir tous nos personnages. Pour Christophe, ça a été plus dur. Joub l’a pris assez mal, d’avoir cet âge. Quand je leur dis que c’est la plus belle période de la vie, ça les rend furieux ! C’est précisément parce qu’on était en désaccord qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on anime nos personnages avec ces différents points de vue.

Malgré tout, vous avez réussi à en faire une histoire lumineuse. Par quel tour de magie ?

La luminosité du récit tient beaucoup au décor. C’est une question que je me pose pour chaque livre de bande dessinée que je fais : où vais-je installer le décor ? Au sens presque théâtral du terme. Au départ, on avait pensé poser le récit dans la forêt amazonienne, en Guyane, où Joub avait vécu quelques années. Lui et moi avions déjà raconté Il s’appelait Geronimo (éd. Vent d’Ouest) là-bas. Mais le choix s’est porté sur cette maison du Jura, où l’on se rend entre amis depuis trente ans. Le Jura, c’est blanc, c’est vide, c’est une montagne mais pas vraiment, c’est presque plat. Cela m’a semblé faire sens qu’un mec de 50 ans décide de s’y réfugier. C’est là-bas qu’on a établi les bases de l’histoire, tous les trois. On a marché dans la neige, sur les lacs gelés. Même si Yvan traverse une période difficile, il est entouré de pureté, de blancheur… Tout est plus ouvert dans ce décor.

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Des photographies d’objets ayant appartenu aux parents d’Yvan se mêlent au récit. Comment vous est venue cette idée ?
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Les photos sont à l’origine de tout ! Ce sont de vrais objets ayant appartenu aux parents de Christophe, qu’il a photographiés. Il nous a montré un jour ces choses un peu kitsch, et on a tout de suite décidé de les mettre dans notre histoire. C’est assez touchant et ça raconte plein de choses, comme ce porte-papier toilettes recouvert par sa maman de velours rouge et or « pour faire chic ». On y voit aussi l’arrivée, dans les années 1950, de l’électroménager dans les foyers modestes. Cela évoque une condition sociale, l’aspiration de quelque chose de mieux. D’emblée, on s’est dit que le personnage principal allait faire ces photos, et qu’elles seraient dans le livre. Sur les 800 ou 900 photos faites par Christophe, 120 sont dans le livre. Il en a imprimé et en dédicace, il les colle pour les lecteurs, qui sont très contents car ils s’approprient les photos de ces objets qu’ils ont eux-mêmes connus, et qui pourtant sont tout à fait anodins.

Êtes-vous quelqu’un de nostalgique ?

Pas tellement. Je crois qu’à la place de Christophe, j’aurais balancé tous ces objets sans état d’âme ! J’ai la hantise de l’encombrement. Si l’on excepte les livres que j’accumule, je rêve de vivre dans une maison vide !

Yvan est délaissé par sa famille… Ce sont plutôt les amis sur lesquels on peut compter dans la vie, selon vous ?

Souvent les enfants partent loin, soit pour le boulot, soit pour les études, donc on se voit moins. Les enfants d’Yvan sont partis, mais c’est naturel, il ne leur reproche pas. Il se retrouve seul, mais il parle beaucoup, il envoie des mails, il utilise Skype. Il a du temps. C’est un moment d’introspection. Comme lui dit son frère : « Moi aussi, si j’avais du fric et du temps, je ferais une dépression, pour voir! »

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Le rythme d’Yvan est plutôt tranquille, et tout à coup, on a la révélation d’un drame du passé. Pourquoi ce retournement ?

C’est la question centrale de ce qu’est une relation amicale au long cours que l’on a souhaité aborder ici. Ce n’est pas de moi, mais j’aime bien cet adage : « Les vrais amis sont des gens que l’on connaît très bien… mais qu’on aime quand même ! » On a voulu traiter cette ambivalence : on ne peut pas tout dire même à ses meilleurs amis, afin de leur faciliter la vie. Dans l’album se pose la question de toutes nos vies parallèles, celles qui se seraient déroulées si telle chose ne s’était pas produite, si on n’avait pas rencontré telle personne. C’est une question que je me pose souvent.

davodeau-couloirs-aeriens-depressionÀ 54 ans et après une trentaine d’albums publiés, vous aimez toujours autant votre métier ?

Je ne suis pas sûr que ce soit mon métier… C’est un peu plus que ça. C’est ma façon d’occuper mon existence. Je n’éprouve aucune lassitude, j’ai encore beaucoup de choses à explorer. J’ai la chance d’avoir une situation plutôt facile pour un auteur, car mes livres sont lus par pas mal de gens, par conséquent les éditeurs ne me voient pas arriver avec effroi ! Ça aide. J’en ai bien conscience, d’autant que beaucoup de mes amis dans la bande dessinée sont dans une situation plus compliquée. Les gens comme moi, qui vivons de notre travail, sommes une exception. Nous, les auteurs, sommes le premier maillon de la chaîne du livre, et nous sommes en train de crever. Et la bande dessinée est tellement chronophage qu’on ne peut pas avoir un métier à côté.

Faut-il avoir peur de la cinquantaine, en définitive ?

Non ! C’est une période où des signes du vieillissement apparaissent de façon inéluctable et visible. On a l’impression qu’on passe le col et qu’on entame la descente… Mais on n’a jamais l’impression d’avoir l’âge qu’on a. On a toujours une représentation de soi-même dix, quinze ou vingt ans en arrière. D’ailleurs, plusieurs fois, depuis la sortie de l’album, des lecteurs m’ont dit que j’avais un peu « chargé » Yvan, pour son âge. En fait, je fais des tests. C’est difficile de se rendre compte de l’âge qu’on fait. Mais quand on en parle à nos compagnes, elles nous disent : « Vous rigolez, les gars, vous n’imaginez pas ce que c’est pour nous, avec la ménopause ! » À 50 ans, il y a souvent des difficultés à affronter, comme on le voit sur la couverture, avec la métaphore des caisses d’objets, qui représentent les problèmes à gérer pour ses parents, ses enfants… Mais c’est aussi une période où l’on retrouve la liberté.

couloirs_couvQuel est votre prochain projet ?

J’ai commencé à dessiner pour Futuropolis un docu-reportage sur le rapport de l’être humain au sol, à la planète, au temps, à la nature… Durant l’été 2019, je suis parti du Lot, précisément de la grotte du Pech Merle, sur les parois de laquelle des homo sapiens ont dessiné, il y de ça 25 000 ans… et j’ai marché jusqu’à Bure, en Meuse, lieu où on enterre nos déchets nucléaires. Autrement dit, j’ai relié le cadeau artistique que nous ont fait nos ancêtres au cadeau dégueulasse qu’on laissera à nos descendants. Ma traversée se double d’une approche scientifique, pour laquelle je suis aidé d’un paléontologue. Mais vous verrez bien !

Propos recueillis par Natacha Lefauconnier

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Les Couloirs aériens.
Par Étienne Davodeau, Joub, Christophe Hermenier.
Futuropolis, octobre 2019, 112 pages couleur, 19 €.

Images © Davodeau/Futuropolis. Photo © Bertini / Editions Futuropolis / 2019

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