Expo Quintet, ou la BD haut de gamme au Musée d’art contemporain de Lyon
Pendant qu’Allison admirait de gros ballons à Bruxelles, je me suis rendu au Musée d’art contemporain de Lyon pour visiter l’exposition Quintet. Points communs de ces deux reportages, la bande dessinée et la gueule de bois (pas de raclette pour moi, mais un enterrement de vie de jeune fille bien imbibé). Dans ce beau musée qui fait face au non moins charmant Parc de la Tête d’or, on assiste à la confrontation de cinq univers d’auteurs de bande dessinée singuliers: Joost Swarte (qui signe l’affiche ci-contre), Stéphane Blanquet, Gilbert Shelton, Francis Masse et Chris Ware. Cinq auteurs au parcours original et différent, qui les a amenés aux frontières de la BD, quand ils n’ont pas décidé de tout simplement la quitter…
Planches originales, sculptures, installations, dessins rares et livres sous vitrine, Quintet a tout d’une exposition d’art contemporain classique, ce qui fait plutôt plaisir pour un 9e art trop souvent déconsidéré. Toutefois, pour le néophyte (et je pense qu’ils sont nombreux parmi les visiteurs à ne pas connaître l’oeuvre des créateurs présentés), cette mise en place a un côté un peu abrupt: à part un petit fascicule photocopié à choper à l’entrée, aucune explication ni note biographique ne ponctue les cinq salles. Public, débrouille-toi tout seul!
Joost Swarte
Joost Swarte a plusieurs cordes à son arc. Designer, architecte, illustrateur, il ne fait (hélas!) presque plus de bande dessinée. Le nom du créateur néerlandais est associé cette année au Musée Hergé, dont il a réalisé le « scénario muséographique ». L’exposition de Lyon présente ainsi un large aperçu de son travail graphique. On se délecte devant ses recherches typographiques, ses affiches de festival de musique, et ses illustrations pour des journaux. On se prend surtout à visiter un univers rêveur et caustique, géométrique et ultra-graphique, drôle et terriblement visionnaire. Car sa ligne claire (c’est lui qui a inventé le terme !) marquée années 80 n’a que lentement évolué au cours des dernières années, ce qui – rétrospectivement – en fait un véritable génie graphique.
Stéphane Blanquet
Stéphane Blanquet a réalisé la plus belle des cinq salles de l’expo. L’auteur de La Vénéneuse aux deux éperons a en effet conçu son espace comme un parcours où le visiteur pénètre lentement son univers barré et hautement sexuel. On commence ainsi avec ses photos de corps peints, des nus de femmes dont la peau blafarde est peuplée de petits personnages flippants ou d’excroissances dessinées (voir son livre La Chair nue s’articule). On admire aussi les nombreux détails de ses dessins apocalyptiques, tels une interprétation extraterrestre des tableaux du peintre flamand Jerome Bosch. L’espace présente aussi des sculptures horrifiques, ainsi que plusieurs dessins violents, terrifiants et magnifiques, mais à déconseiller aux enfants. Le clou de l’expo est un circuit que l’on parcourt dans un wagon à pédale, et qui invite le visiteur à plonger dans l’envers du décor (un peu à l’image de la chambre à double-fond de l’expo du Salon de Montreuil)…
Gilbert Shelton
Chapitre le plus classique de l’exposition, la salle consacrée à Gilbert Shelton. En effet, il s’agit d’un accrochage de planches et d’illustrations, sans mise en scène supplémentaire. Mais l’espace est suffisamment large pour qu’on puisse lire des histoires entières et se poiler devant les aventures enfumées des Freak Brothers… De belles illustrations de couvertures permettent d’apprécier le talent de coloriste de l’auteur américain installé à Paris. Et l’ensemble laisse entrevoir ses sources d’inspiration, qui vont des grands maîtres de la peinture (Le Déjeuner sur l’herbe de Manet ou Le Cri de Munch) à ceux de la culture underground (Robert Crumb), des bagnoles et du rock’n’roll, le tout assaisonné avec une bonne dose d’humour.
Francis Masse
Immense talent français méconnu du 9e art, Francis Masse s’est désormais tourné vers la sculpture. L’espace qui lui est dédié dans l’exposition Quintet met ainsi en valeur ses oeuvres en trois dimensions, faites de métal, de pierre, de bois et d’accessoires, chacune racontant une petite histoire. Mais pour mieux comprendre le travail du créateur des Deux du balcon, il faut se laisser embarquer dans ses planches de bande dessinée (qu’on ne peut hélas pas reproduire ici, faute de visuels fournis par le Musée), extraites de son Encyclopédie, de La Mare aux pirates ou de son 30×40 paru chez Futuropolis. Des pages chargées de traits et de collages, d’architectures complexes et de textes, énormément de textes. Des dialogues philosophico-surréalistes à hurler de rire, mais qui ne se prêtent pas toujours à une lecture debout face à un mur…
Chris Ware
La dernière salle (ou la deuxième, en fait, ça dépend du sens choisi pour la visite) est consacrée à Chris Ware, l’auteur de Jimmy Corrigan. On y découvre des planches immenses, étonnantes car ses livres sont en général de petits formats à l’italienne. On voit donc des planches encrées, avec les traces visibles du crayonné bleu, extraites de Rusty Brown, Building Stories ou Jimmy Corrigan. Toutefois, il semble difficile pour le visiteur qui rencontrerait pour la première fois le travail de l’Américain de bien appréhender la puissance graphique et narrative qu’il a sous les yeux, tant son art du détail, de la répétition et de la construction est fait pour être apprécié dans un livre. Mais pour les amateurs de Chris Ware, qui se précipitent dans le rayon import une fois par an pour trouver la nouveauté importée de ACME Novelty Library (le nom de la « série » de Ware), c’est quand même un beau moment. (On vous présente ici les visuels des planches après la mise en couleurs, car on ne peut pas prendre de photos dans l’expo…)
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Exposition Quintet. Au Musée d’art contemporain de Lyon. Jusqu’au 19 avril 2009. 4-6 €.
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