Fabien Nury et Brüno en plein roman noir
Du sang, du flegme, des fusillades, des courses-poursuites, des sentiments exacerbés. Dans l’excellente bande dessinée Tyler Cross, parue chez Dargaud, le scénariste Fabien Nury et le dessinateur Brüno (qui avaient déjà collaboré pour Atar Gull) mettent en scène un bandit charismatique, qui se retrouve coincé dans une petite ville. Où la blonde Stella s’apprête à rejoindre un clan effrayant… Les auteurs de ce polar explosif, jouissif, reviennent sur sa genèse. Et sur leurs influences littéraires et cinématographiques, de Chester Gould à Humphrey Bogart.
Qui est Tyler Cross ?
Fabien Nury : C’est un gangster professionnel, efficace et froid. Un cousin de Humphrey Bogart, Jack Palance ou Lee Marvin — cet album est une variation sur l’une des grandes figures du roman noir de type hard boiled [qui restitue un contexte sociétal]. La vie personnelle de Tyler nous intéresse moins que celle des personnages qu’il croise. Il n’est qu’un véhicule narratif, qui met en valeur le destin des autres, notamment celui de Stella, sous l’emprise d’une belle-famille malfaisante. Contrairement à d’autres héros, Tyler Cross n’essaie jamais de se montrer sympathique. Ce qui suscite l’empathie, ce sont les situations très problématiques dans lesquelles il se trouve. Et puis l’on se dit que son apparent manque d’émotion — notamment lorsque sa partenaire meurt — doit cacher un certain romantisme…
Brüno : Graphiquement, j’ai trouvé Tyler en regardant Jack Palance dans La Peur au ventre (I Died a Thousand Times), un remake de La Grande Évasion (High Sierra de Raoul Walsh avec Bogart). Son physique plus émacié collait mieux à mon style. Il fallait un visage en lame de couteau, taillé à la serpe. C’est la première fois que j’ai autant bossé sur un personnage, pour obtenir cette simplicité. Tyler ne devait être ni repoussant, ni trop beau gosse.
D’où vient votre goût du polar des années 50 ?
F. N. : J’ai toujours adoré ça, j’ai accumulé une grande documentation sur le sujet, et je rêve d’en faire depuis vingt-cinq ans. Je suis sensible à la grande puissance iconique du genre, à la jubilation que provoque son humour noir, à son intensité dramatique, à son sens de l’ellipse… De ces grandes figures tragiques, fabriquées par Donald Westlake ou James Ellroy, émane une sorte de mélancolie. Après Atar Gull, Brüno m’a proposé de partir sur un style très « cinéma bis », à la Charles Bronson, dans le Texas des années 70. Et j’ai préféré l’orienter vers Humphrey Bogart. Je lui ai d’ailleurs envoyé une série de photos de Bogart avec un fusil à pompe, dans La Grande Évasion. Ce personnage, c’était Tyler Cross !
B. : C’est vrai qu’au début j’avais envie de creuser la vulgarité américaine, de mettre en scène des rednecks en pick-up. Fabien m’a prêté des films noirs des années 40 et 50, type Un homme est passé et Le Faucon maltais. Je me suis pris claque sur claque ! C’était un univers beaucoup plus classe et sympa à exploiter.
Avez-vous lorgné vers des cinéastes tels que Quentin Tarantino ou Robert Rodriguez ?
F. N. : Pas vraiment. Disons qu’ils aiment les mêmes livres et films que nous. On pourrait jouer sans fin aux jeu des références en lisant Tyler Cross… Mais elles se sont imposées de façon inconsciente, ce n’était pas une suite de citations choisies.
Vous n’avez même pas pensé à Kill Bill de Tarantino pour le personnage de Stella, la mariée ?
F. N. : Ah non, pas du tout… J’ai cherché comment dramatiser l’histoire d’un type sans argent, avec un trésor. Il fallait lui adjoindre une sorte de Grace Kelly ! Et le mariage est un bon truc pour mettre en scène toute une bourgade. C’est comme un conte : une princesse mariée contre son gré… Et puis la cavale de la femme en robe blanche et du type en noir a quelque chose de très romanesque !
Quels effets avez-vous souhaité obtenir?
F. N. : Nous avons travaillé l’intensité, cherché la dramatisation maximale. Je voulais un divertissement fun, avec une distance esthétique. Ce qui passe par un découpage et une mise en scène qui évoquent le cinéma. Il y a aussi des procédés très narratifs : une voix-off, la biographie d’un personnage secondaire…
De quelle façon avez-vous fonctionné ?
B. : Fabien écrit tout d’un bloc, puis je lui envoie le storyboard par séquences d’une dizaine de pages, que l’on triture ensemble dans tous les sens. Notre objectif : améliorer la dramatisation et la fluidité du récit. J’ai ainsi refait la quasi totalité des pages. Cela enrichit mon vocabulaire de mise en scène et casse mes automatismes. J’ai fait évoluer mon trait vers plus de réalisme et d’expressionnisme, avec davantage de masses de noir et de clairs-obscurs. Je me suis inspiré des travaux de Milton Caniff et Chester Gould [le créateur de Dick Tracy].
Quels sont vos projets ?
F. N. : Le second one-shot de Tyler Cross est en cours, il se déroule avant celui-ci : on envoie notre héros au bagne ! Je prépare avec Thierry Robin, le dessinateur de La Mort de Staline, une histoire d’assassinat politique en Russie en 1905, un mélange de thriller politique et d’étude de caractère qui s’intitulera Mort au tsar ! Je continue Silas Corey, et je prépare aussi une adaptation de Fils de soleil, une nouvelle de Jack London, qui sera dessinée par Eric Henninot. Et puis j’essaie de transposer Il était une fois en France au cinéma. Je voudrais réaliser le film, dont le développement est financé.
B. : Je vais m’atteler début octobre au dessin du deuxième Tyler Cross, donc. Je prévois d’y passer un an à un an et demi, ça va être assez physique… J’ai eu droit à ma récréation cet été avec un livre d’illustrations pour Glénat, Pornopia — de « pornographie » et « utopia », à paraître en février. Dans deux ans, je me lancerai sur un nouveau projet scénarisé par Appollo : une relecture de Phèdre de Racine, qui se passera dans l’Afrique de Mobutu.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
———————————–
Tyler Cross #1
Par Brüno et Fabien Nury.
Dargaud,16,95€, le 23 août 2013.
Images © Dargaud.
Achetez-le sur Amazon.fr
Achetez-le sur BDFugue.com
Votez pour cet article
———————————-
-
Voila une nouvelle série intéressante: j’ai déjà lu deux fois le premier tome, et j’en redemande! Bravo aux deux auteurs! Peut être dans la liste d’Angoulême?
-
Très bonne surprise que cet album de Nury et Brüno. On retrouve bien l’ambiance des films noirs américains d’après guerre.
Bonne nouvelle que l’annonce d’un second opus.
Commentaires