Après José-Luis Munuera et Jean David Morvan, c’est au tour de Yoann et Fabien Vehlmann de prendre les manettes du vaisseau amiral Spirou et Fantasio. Tâche difficile tant le bateau a navigué – déjà 50 périples au compteur -, sous le commandement de nombreux capitaines (18). Et sans parler de l’importance qu’il revêt pour les éditions Dupuis puisque la série se vend environ à 120 000 exemplaires. Pourtant, Fabien Vehlmann, scénariste de Seuls et du Marquis d’Anaon, monte sur le pont avec sérénité, fort du sémillant one-shot Les Géants pétrifiés, signé en 2006 avec Yoann. Et déborde d’idées pour la suite…

[Les images sont extraites de l’histoire courte Spirou back to the redac, de Yoann et Fabien Vehlmann, publiée pour les 70 ans du journal Spirou.]

Yoann et vous étiez déjà pressentis pour reprendre Spirou à l’époque où Dupuis choisissait le duo Morvan-Munuera. Tenez-vous votre revanche ?
Non, car j’ai déjà pu satisfaire ma soif de Spirou avec Les Géants pétrifiés. Par contre, j’aurais été frustré de passer à un poil de fourmi de la reprise si je n’avais déjà eu l’occasion de « jouer » avec le personnage. M’occuper de la série principale me fait très plaisir. L’expérience sera différente des Géants : à la différence des one-shots, qui sont des laboratoires, la série-mère doit garder un certain classicisme. Ce qui est excitant et flippant à la fois. D’autant plus que je sais que l’expérience de Jean David Morvan et José Luis Munuera fut difficile. Les multiples changements de l’équipe éditoriale font qu’ils n’ont pas été encouragés. J’ai d’ailleurs été très clair avec Dupuis : je n’ai accepté de reprendre Spirou qu’à condition d’être soutenu par l’équipe éditoriale et de voir ma liberté artistique garantie. J’ai réclamé une marge de manœuvre nécessaire pour que Yoann et moi puissions nous amuser. Mais si le résultat ne plaît pas à l’éditeur ou ne se vend pas, il est libre de nous virer. Sur ces bases, j’aborde la série dans un état d’esprit plus serein qu’il n’aurait été il y a cinq ans. Il y aura forcément des déçus, car le public est dur. Et je sais que notre pérennité dépendra d’une sanction commerciale. L’expérience de Jean David Morvan et José Luis Munuera prouve que le talent ne suffit pas pour rester aux manettes de Spirou.

Combien d’albums sont-ils prévus ?
Notre contrat durera trois ans après la sortie du premier tome. Ce qui nous laisse le temps de faire nos preuves.

Quelles sont vos ambitions pour la série ?
Je veux aborder l’aventure humoristique à la franco-belge, celle que j’ai adoré lire enfant. J’aime ces péripéties à la limite de la crédibilité. Comme Zorglub faisant tout un pataquès pour écrire « Coca-Cola » sur la Lune. C’était totalement improbable, mais cela me faisait marrer étant gamin.

Dans le dernier Spirou scénarisé par Yann et Jean David Morvan, un paradoxe temporel effaçait tout le passé des héros, faisant fi des 50 premiers tomes. Comment allez-vous gérer un tel héritage ?
Face à un tel retournement, il y a deux options [expliquées dans notre interview de Yann et Jean David Morvan]. Celle proposée par Yann est de continuer la série en intégrant le bouleversement du 50e épisode. Celle de Morvan propose que Fantasio retourne une dernière fois dans le passé pour rétablir l’ordre des choses. Yann et Morvan ont écrit cet album avec l’ambition de rendre cohérente toute la série. Mais, pour moi, il n’y a rien de commun entre Radar le robot publié par Franquin en 1947, Z comme Zorglub réalisé par le même Franquin en 1962, et Spirou à New-York imaginé par Tome et Janry en 1987. Je ne ressens pas le besoin de tout unifier. Par contre, j’ai envie de jouer avec les codes de la série, comme le costume de groom par exemple.

Quel sera le thème du 51^e tome, que vous préparez pour octobre ?
Il se déroulera à Champignac, pour réinscrire la série dans l’univers de Franquin. Toutefois, les épisodes passés à Champignac ne sont pas mes préférés : ils manquent d’action ! Je vais donc amener du mouvement dans le village et retrouver le souffle épique des albums de Tome et Janry.

À la première proposition de reprise, le dessin de Yoann n’avait pas convaincu l’équipe Dupuis. Qu’est ce qui a changé ?
À l’époque, l’approche graphique que nous proposions – celle des Géants pétrifiés – était peut-être trop radicale. Elle a effectivement surpris la masse conservatrice des lecteurs de Spirou. L’album que Yoann prépare sera plus proche de l’histoire courte publiée pour les 70 ans du journal Spirou. Dans celle-ci, Spirou travaille à la rédaction du journal, comme c’était le cas dans les albums de Franquin. À cause de ce travail, il est tenu de porter son costume de groom, qui est la marque du journal. Les lecteurs ne sont pas dupes et savent que le costume de Spirou est un logo qui compte pour les gens du marketing. Autant en jouer…

D’autres auteurs étaient-ils pressentis pour reprendre la série ?
Je sais seulement que la nouvelle équipe éditoriale a hésité entre notre approche et une autre plus vintage, genre reprise de Blake et Mortimer. Mais je ne sais pas qui aurait pu la dessiner. L’autre option était d’aller vers un Spirou contemporain, et c’était la seule qui m’intéressait.

D’autres projets ?
Jolies ténèbres avec Kerascoët, qui sortira en mars [on vous en parlait déjà ici] et dont je peux déjà vous montrer la couverture. J’ai aussi un projet avec Jason, dont j’adore le travail et qui avait apprécié ma série Samedi et Dimanche, dessinée par Gwen de Bonneval. L’année dernière, j’ai beaucoup travaillé sur un dessin animé de science-fiction destiné à France Télévisions, et je souhaiterais maintenant revenir à la bande dessinée.

Propos recueillis par Allison Reber

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