Fabien Vehlmann : Méliès, le merveilleux et le cinéma
C’est un bel album à la couverture blanche cartonnée et au dos toilé, qui capte l’œil en quelques secondes. À l’intérieur s’étale le trait classieux, parfois éthéré, de Frantz Duchazeau. Il déroule le fil d’histoires courtes inventées par Fabien Vehlmann, scénariste entre autres de Seuls, Les Cinq Conteurs de Bagdad ou Le Marquis d’Anaon, et repreneur avec Yoann des aventures officielles de Spirou et Fantasio. Dans Le Diable amoureux et autres films jamais tournés par Méliès, le lecteur est plongé dans un intrigant Paris 1900, où le surréel flirte avec le fantastique. On y croise le prestidigitateur Houdini, une femme à barbe, d’inquiétants automates, ou encore une étoile polaire que Georges Méliès s’obstine à filmer… Entretien avec Fabien Vehlmann autour de ces fables vibrantes.
D’où est venue l’idée de ce Diable amoureux ?
De deux désirs. De celui – graphique – de Frantz Duchazeau, qui voulait dessiner Paris dans les années 20. Et de mon envie d’écrire un récit merveilleux. Tout ça mêlé à des réminiscences d’Adèle Blanc-Sec, difficiles à évacuer.
Et Georges Méliès dans tout ça ?
Je ne suis pas un exégète de son œuvre. Je l’ai redécouvert il y a deux ans, à l’occasion d’une exposition à la Cinémathèque. J’avais vu plusieurs de ses films, dont Le Voyage dans la lune, qui a profondément marqué mon imaginaire. J’aime son côté «carton-pâte» et sa naïveté scientifique, qui ne tient pas la route trop longtemps. Ça chatouille agréablement mon sens de l’irrationnel ! J’apprécie aussi cette inventivité d’un médium en train de se créer. Je préfère cent fois la magie du King Kong des années 30 aux effets spéciaux surdoués de celui de Peter Jackson. Méliès était pour moi un bricolo de génie, comme Marc-Antoine Mathieu en BD aujourd’hui, par exemple.
Contrairement à ce qu’indique le titre, Méliès n’est pas le personnage central de l’album…
On l’y voit en fait très peu. Le Diable amoureux n’est pas un copié-collé de son univers, plutôt un hommage distancié. J’avais procédé de la même manière avec Dieu qui pue, Dieu qui pète, inspiré de contes africains. Je m’imprègne d’un sujet, mais au final je n’en garde que quelques éléments.
Vous êtes-vous beaucoup documenté sur le Paris de l’époque ?
J’ai récupéré beaucoup de dessins de rues, afin d’éviter de reproduire des photos déjà mille fois vues sur Internet. J’ai lu des ouvrages sur Méliès, j’y ai picoré quelques dates et faits, et après digestion de tout ça est ressortie mon « idée » de cet artiste. Il reste une sorte de fantasme, qui se définissait par son travail.
Vous insistez sur le merveilleux, que l’on peut étouffer à trop vouloir le montrer.
Oui, il est par essence insaisissable, fugace. On peut le tuer en le regardant trop. Le livre se termine sur une note nostalgique: les caméras des frères Lumière ne rendent possible qu’une perception du mystère, et l’éteignent.
Pourquoi avoir opté pour des histoires courtes ?
Au début, j’avais envie d’un récit complet. Mais je souhaitais aller dans tellement de directions différentes qu’il aurait été compliqué de tout regrouper. J’ai donc choisi cette forme courte. Mon regret, c’est que je n’ai pas réussi à laisser le dessin de Frantz respirer. Mes scénarios sont trop denses. Je dois constamment lutter contre ma tendance naturelle à insérer un maximum d’idées. J’aime être généreux avec le lecteur, mais c’est une vraie contrainte pour le dessinateur !
Pourquoi avoir fait cet album avec Frantz Duchazeau ?
Nous entretenons une relation d’amitié à travers le travail, dans la durée – ce qui est rassurant. Son dessin est en constante évolution, je le trouve à la fois vivant, passionnant et singulier. Il se pose beaucoup de questions mais parvient à avancer, il cherche en dessinant. Cela lui permet d’être très productif ! J’essaie de suivre son exemple, pour ne pas me retrouver paralysé par le doute quand j’écris.
Futuropolis va bientôt publier Les Derniers Jours d’un immortel, un ouvrage science-fictionnel que vous scénarisez et que Gwen de Bonneval a dessiné.
J’avais envie de retravailler avec Gwen après l’échec de Samedi et Dimanche, une série que j’aime beaucoup. Cette fois, nous nous sommes penchés sur l’«exopsychologie», à savoir la psychologie de ce qui est totalement autre. Le livre suit des policiers philosophiques ou «exopsychologues», et permet de mener une réflexion sur l’être humain. On s’interroge sur ce qui peut pousser quelqu’un à commettre un crime sans s’en rendre compte, par exemple. Mais ce sera plus fun et facile d’accès qu’un bouquin de philo !
Où en est le 51e tome de Spirou ?
Yoann met la dernière main à l’album. Sa réalisation a été longue, car il nous a fallu digérer les contraintes de l’exercice et trouver comment exprimer nos propres envies dans ce cadre. De plus, Yoann a mis au point un style exigeant, qui lui demande du temps.
Êtes-vous anxieux à l’approche de sa sortie, début septembre ?
On sait bien qu’on va se faire lapider par une partie des fans, ça fait partie du jeu. Mais je serai fier de cet épisode, même si je ne prétends pas qu’il soit parfait. On y découvrira peu de nouveaux personnages – deux Suédoises apporteront un brin d’exotisme. Il faudra attendre un peu que l’on prenne notre vitesse de croisière, au fil des trois albums prévus. En tout cas, Yoann et moi avons envie de nous reconnecter avec le public enfantin. Et si en plus ça plaît aux adultes, ce sera tant mieux ! Nous nous recentrons sur les fondamentaux en concoctant une grande aventure humoristique.
Quid du 52e tome ?
J’avance sur son scénario. On pourra le lire indépendamment du précédent, mais il y aura un mince fil rouge entre les deux histoires. Le personnage de Zorglub y sera développé, on comprendra mieux son grand plan machiavélique…
Quels sont vos autres projets ?
Un diptyque en couleurs directes avec les Kerascoët, Voyage en Satanie, qui devrait être signé chez Dargaud. On y verra une jeune fille chercher son frère en enfer. J’aimerais aussi travailler avec Alfred, dont j’apprécie le travail, et avec des dessinateurs espagnols, qui m’ont contacté via Dargaud. J’ai notamment un projet avec Roger Ibanez (Jazz Maynard), autour d’un slasher premier degré. Je suis un fan de longue date des films gore à la Halloween ! J’ai envie de jouer avec le genre en le distordant.
Avez-vous des projets au cinéma ?
Un monde à nous [un film d’Anton Balekdjian, scénarisé par Fabien Vehlmann] a été un échec commercial. Je pense avoir fonctionné à l’envers sur ce coup-là : j’avais répondu à un appel du pied d’Alain Chabat, qui a produit le film. Mon idée n’était alors qu’un pitch, et j’aurais dû la laisser mûrir plus longtemps avant de passer à l’écriture. L’envie de m’y remettre me titille, mais il me faudra prendre le temps : demander une bourse au CNC, avancer, puis tâter le terrain auprès des producteurs… Mais il est peu probable que je passe à la réalisation, je ne m’en sens pas les épaules. Je ne me considère pas vraiment comme un homme d’image, puisque je ne dessine pas. Derrière une caméra, j’aurais le syndrome de l’imposteur.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Le Diable amoureux et autres films jamais tournés par Méliès.
Par Frantz Duchazeau et Fabien Vehlmann.
Dargaud, 14,50€, le 26 février 2010.
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Je trouve que Fabien Vehlmann est un grand scénariste ! Les thèmes de ses albums sont variés et toujours traités de façon intéressante. J’ aime beaucoup « Green Manor ».
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Je trouve que Fabien Vehlmann est un grand scénariste ! Les thèmes de ses albums sont variés et toujours traités de façon intéressante. J’ aime beaucoup « Green Manor ».
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